Édition du 10 novembre 2003 / volume 38, numéro 10
 
  Rage au volant : Touche pas à mon char!
Passion de conduire et anxiété expliquent le phénomène.

Ceux qui attribuent la responsabilité des situations aux autres font preuve de plus d’agressivité au volant.

Le cas est typique: un feu rouge un conducteur pressé en coupe un autre. Celui-ci n’apprécie pas et klaxonne. Le premier en remet en lui présentant son majeur. À l’intersection suivante, les deux conducteurs s’invectivent. Lorsque l’un d’eux s’arrête dans un stationnement, l’autre le suit. La querelle s’envenime et la bagarre éclate.

On ne compte plus les cas de rage au volant qui ont défrayé la chronique depuis un an. On a même signalé un cas de «rage du piéton» contre une automobiliste à Chicoutimi et un de «rage sur l’eau» à Magog. Le phénomène n’est ni nouveau ni plus fréquent, mais les médias, friands de concepts dernière mode, y accordent une attention accrue.

Et les chercheurs aussi. Une étude internationale effectuée par des chercheurs belges a même permis de brosser le tableau du phénomène dans pas moins de 23 pays. À l’Université de Montréal, Jacques Bergeron, professeur au Département de psychologie, travaille sur les attitudes des automobilistes depuis plusieurs années. Après avoir étudié les variables contextuelles et socioculturelles de l’agressivité au volant, il se penche maintenant sur les facteurs personnels pris en interrelation avec les deux autres types de variables.

Ses dernières analyses montrent que la passion de conduire et l’anxiété sont des facteurs qui prédisposent à l’agressivité au volant.

Le culte de l’auto

La recherche actuelle de Jacques Bergeron porte sur deux cohortes de conducteurs et de conductrices totalisant 582 sujets âgés de 18 à 65 ans.

Les profils psychologiques des conducteurs révèlent que ceux qui vouent un véritable culte à la conduite automobile au point de se déclarer malheureux s’ils étaient privés de leur véhicule sont susceptibles de manifester plus d’irritabilité au volant.

«Ce sont des personnes qui investissent de façon obsessionnelle dans la conduite automobile, précise le professeur. L’automobile est pour eux une vache sacrée et ils se sentent personnellement visés par les gestes non intentionnels des autres conducteurs.»

La passion de conduire peut être liée à des affects positifs (comme éprouver un sentiment d’ivresse), mais ceux qui expriment des émotions négatives associées à une privation de cette passion et qui tiennent à leur automobile comme à la prunelle de leurs yeux montrent en même temps les tendances les plus agressives au volant.

L’anxiété apparaît également comme un trait de caractère associé à la conduite agressive. «Ceux qui normalement recherchent des solutions à leur anxiété vont avoir des comportements adaptés à la situation dans les cas d’anxiété au volant. Mais ceux qui ne réussissent pas à gérer leur anxiété apparaissent comme des conducteurs plus agressifs», affirme le chercheur.

Fait étonnant à souligner, aucun écart statistiquement significatif dans l’évaluation de l’anxiété ne distingue les hommes des femmes. Toutefois, c’est principalement chez les hommes que cette anxiété engendre le plus de comportements d’irritabilité ou d’agressivité. Les femmes feraient preuve de plus de retenue.

«Il l’a cherché!»

Le recoupement des données fait par ailleurs ressortir le profil psychologique particulier des conducteurs agressifs. Ce qui les caractérise – tant les adorateurs de l’automobile que les anxieux – est leur tendance à attribuer la responsabilité des situations aux autres.

«Un événement dû au hasard ou un geste accidentel est perçu comme intentionnel par l’autre conducteur et est interprété comme étant dirigé vers lui, explique Jacques Bergeron. Plus notre processus cognitif se rapproche de cette façon de voir les choses, plus on exprime de le frustration et des réactions agressives.»

Les comportements agressifs relevés par l’étude vont des invectives aux empoignades en passant par les gestes obscènes. «Certains indiquent qu’ils iraient jusqu’à se servir de l’auto pour bloquer la voie de l’autre ou pour tamponner son pare-chocs», ajoute M. Bergeron.

Le professeur tient par ailleurs à souligner que l’étude fait ressortir des tendances comportementales plutôt qu’analyser des gestes agressifs réellement posés.

Les recherches précédentes de Jacques Bergeron ont montré que l’anonymat a aussi un effet sur la conduite agressive. Si l’on conduit un véhicule aux vitres teintées par exemple, on aura plus tendance à conduire de façon agressive que si l’on roule dans une décapotable. Même chose si l’on est au volant d’un quatre-quatre, qui procure un sentiment de puissance.

Ces travaux s’inscrivent dans une vaste recherche interuniversitaire incluant d’autres travaux des professeurs Robert Vallerand, de l’UQAM, et Évelyne Vallières, de TELUQ. La désignation de l’ensemble des variables de la conduite agressive vise ultimement à déterminer quel public devrait faire l’objet de campagnes de sensibilisation et à élaborer des programmes de réadaptation destinés à ces conducteurs.

Daniel Baril



 
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