Édition du 24 novembre 2003 / volume 38, numéro 13
 
  Mariage gai: la rupture anthropologique
Le débat a opposé Cécile Lafontaine, du Département de sociologie, de Luc Granger, directeur du Département de psychologie et Jean-Guy Nadeau, professeur à la Faculté de théologie.

Au-delà de l’égalité des droits sociaux et économiques, l’enjeu du mariage entre des conjoints de même sexe provoque une rupture radicale dans la symbolique établissant les règles fondamentales de la société humaine.

Céline Lafontaine

C’est la position qu’a présentée et défendue Céline Lafontaine, professeure au Département de sociologie, au cours d’un débat sur le mariage gai organisé par l’Association des étudiants de théologie. Selon la professeure, il y a un consensus social sur le fait que les homosexuels doivent bénéficier des mêmes droits que les hétérosexuels, mais leur revendication à l’égard du mariage bouscule les repères de l’Homo sapiens.

«Qu’on le veuille ou non, nous sommes tributaires du fondement de la vie, qui repose sur la reproduction sexuée, source de symbolique, affirme-t-elle. Et le mariage conserve l’aura de l’idéal de la cellule familiale qui structure les liens sociaux. La revendication du mariage pour les conjoints de même sexe atteste la perte du mariage comme fondement de ces liens sociaux. Ce sont les droits individuels qui tiennent alors lieu d’absolu démocratique. Mais une société est plus qu’un amas d’individus: elle implique une structure de liens entre ces personnes.»

Selon la professeure, le droit à l’enfant fait aussi partie de la revendication du mariage gai, un droit rendu accessible notamment par les nouvelles technologies de reproduction. Cet amalgame entre mariage gai et marchandisation de l’enfant lui paraît être le reflet de la montée du néolibéralisme, qui place les droits individuels au centre de l’univers marchand.

«C’est la première fois dans l’histoire anthropologique que les règles de la filiation et du lien social sont bouleversées de façon aussi radicale, déclare-t-elle. La rupture est comparable à celle survenue au néolithique.»

Mais contrairement au virage du néolithique, l’avenir n’annonce rien de rassurant pour l’espèce. «Le Code civil a déjà été amendé pour accorder aux couples lesbiens les mêmes droits et obligations parentaux qu’aux couples hétérosexuels. Ce changement de régime anthropologique s’est fait sans aucun débat, déplore-t-elle. Nous allons vers un horizon totalitaire.»

Consciente que sa lecture de la problématique ne reçoit pas l’assentiment de tous, la professeure dit craindre la rectitude politique, qui refuse la remise en question. «Il faut avoir le courage de ramener le débat à ce niveau», signale-t-elle.

Accéder à la même symbolique

Jean-Guy Nadeau

Jean-Guy Nadeau, professeur à la Faculté de théologie, a pour sa part cherché à comprendre pourquoi les couples gais voulaient se marier tout en tenant à afficher leur différence.

«D’une part, leur différence est rarement choisie, a-t-il souligné. Mais d’autre part, les gais veulent se marier pour pouvoir vivre la même chose que les hétérosexuels; ils souhaitent pouvoir participer au parcours commun de la société.»

Paradoxalement, ce désir d’accéder à la symbolique commune et socialement structurante a pour effet, selon ce que défendait Céline Lafontaine, de vider le symbole de son contenu et de sa force.

Après avoir rappelé la position de l’Église sur la question, Jean-Guy Nadeau a indiqué que la Bible n’était pas d’un grand secours en pareil cas puisqu’on n’a pas à imposer de dogmes religieux à l’ensemble de la société.

Des enfants forts

Luc Granger

Quoi qu’il en soit de la révolution symbolique en cours, les enfants élevés par des parents du même sexe ne présenteraient aucun problème particulier d’identité sociale et d’identité sexuelle, selon ce qu’a soutenu Luc Granger, directeur du Département de psychologie et participant de la table ronde.

Le professeur s’est référé à des études américaines, notamment celles de la psychologue Charlotte Patterson, de l’Université de Virginie, qui montrent que le fait d’avoir été élevé par deux parents du même sexe n’a pas d’influence sur l’interaction sociale, l’identité sexuelle ou le choix du partenaire sexuel. Ceci vaut tant pour les garçons que pour les filles et peu importe le sexe des parents.

Les seuls problèmes observés seraient liés au fait que ces enfants forment une minorité, mais leur univers n’est pas plus bouleversé que celui de enfants élevés dans des foyers monoparentaux ou dans des communes. «La catastrophe appréhendée ne s’est pas produite», a déclaré Luc Granger.

Contrairement à l’adage populaire, il semble donc que des couples homosexuels peuvent faire des enfants forts.

Daniel Baril



 
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