Édition du 24 novembre 2003 / volume 38, numéro 13
 
  Cancer du sein: comme si le corps était victime d’un attentat
Les malades survivraient plus longtemps grâce à la «thérapie d’expression et de soutien» de David Spiegel.

David Spiegel

Les femmes qui souffrent d’un cancer du sein ont le sentiment que leur corps a été la cible d’un attentat semblable à celui du World Trade Center. C’est avec cette image forte de tours éventrées et enflammées que David Spiegel a lancé sa conférence des Belles Soirées le 17 novembre, qui a attiré quelque 120 personnes malgré la grève du transport en commun.

David Spiegel est psychiatre et professeur à l’École de médecine de l’Université Stanford, en Californie. Il travaille depuis un quart de siècle sur un sujet des plus difficiles, car ondoyant: les rapports entre le corps et l’esprit ou, pour le dire plus exactement, l’incidence des émotions sur l’évolution du cancer du sein.

Selon lui, les thérapies de groupe permettent aux femmes d’évacuer du stress, de participer à une expérience sociale. L’objectif de ces thérapies: avoir un meilleur moral et donc une meilleure qualité de vie. Mais aussi, vivre plus longtemps. Sur une dizaine d’études scientifiques effectuées jusqu’à maintenant pour vérifier la justesse de l’approche de David Spiegel, la moitié a révélé un lien direct entre la «thérapie d’expression et de soutien» et une survie prolongée. Les cinq autres expériences – dont une menée au Canada par Pamela Goodwin à l’hôpital Mount Sinaï de l’Université de Toronto – ont conclu que les femmes s’en portaient effectivement mieux, qu’elles y avaient gagné en qualité de vie, mais que l’approche du professeur Spiegel ne prolongeait pas nécessairement la vie de la malade. Commentaire de l’intéressé: «Ces cinq études n’ont au moins pas conclu que ces thérapies causaient du tort aux patientes!» Bref, il n’existe aucun risque à suivre une thérapie de groupe, bien au contraire.

État post-traumatique

Selon David Spiegel, la femme qui se sait atteinte de cette maladie tombe rapidement dans un état de type post-traumatique. D’où la métaphore du 11 septembre, que le chercheur a développée avec moult photos à l’appui au début de sa présentation, comparant les symptômes d’un choc nerveux post-attentat à ceux observés chez les femmes qui viennent de recevoir un diagnostic de cancer du sein.

David Spiegel évoque d’autres chocs auxquels la maladie peut se comparer: le viol et, pour un militaire, le retour du front.

Après le coup lié au diagnostic de la maladie, il ne faut pas penser à soigner uniquement le corps, mais la tête aussi. Le Dr Spiegel recommande donc à toute femme atteinte d’un cancer du sein de prendre part à une thérapie de groupe.

Avant de se lancer dans l’expérience de ces thérapies, David Spiegel craignait que les discussions en viennent à déprimer encore plus chacune des participante. «Il était selon nous possible que toutes les peurs s’accumulent et finissent par écraser tout espoir.» Mais c’est plutôt l’inverse qui se produit, annonce-t-il. Dans les groupes, le Dr Spiegel insiste pour que chaque femme exprime ses émotions, en commençant par la terrible peur qui la tenaille et le sentiment de perte de contrôle que suscite une telle maladie.

«Partager ainsi ses angoisses permet à la femme de prendre conscience qu’elle n’est pas seule à vivre une telle chose.» En anglais, une rime en dit beaucoup: «Feeling can contribute to healing.» David Spiegel affirme aussi que les participantes aux groupes deviennent des «expertes» qui recueillent beaucoup d’informations sur ce qui leur arrive et qui les partagent. Se produit alors le phénomène de «l’aidant aidé par l’aide qu’il apporte». David Spiegel illustre les choses ainsi: «Pour aider les enfants qui ont des problèmes d’apprentissage en lecture, une bonne méthode consiste à envoyer ces mêmes enfants… aider des plus jeunes.» Résultat: en tentant d’aider quelqu’un d’autre, ils progressent eux-mêmes, car ils finissent par comprendre ce qu’ils ne seraient pas arrivés à saisir seuls. De même, la femme tourmentée par la peur du cancer en viendra à s’aider elle-même plus facilement si elle aide ses semblables atteintes du même mal.

En somme, «la thérapie d’expression et de soutien encourage les patients à bien cerner leurs émotions, mais aussi à démystifier leurs peurs, à apprivoiser la crainte de mourir et la mort elle-même, à revoir leurs priorités, à renforcer leur réseau social, à améliorer les communications avec autrui, en particulier avec la famille et les médecins, et enfin à mieux contrôler la douleur».

Supprimer est risqué

Selon les études du Dr Spiegel, le patient qui tente de supprimer ses émotions sombrera plus rapidement dans la dépression. Or, cet état favorise le développement de la maladie. Des études ont montré que les gens seuls, de même que ceux qui ont fait des dépressions, courent autant de risques de souffrir d’un cancer que les fumeurs. «Le prix à payer pour ne pas exprimer ses sentiments est très élevé», répète le chercheur à ses patientes.

S’agirait-il pour autant de faire l’effort de s’esclaffer devant cette maladie pour la ridiculiser? Certaines théories le suggèrent. Mais selon David Spiegel, il peut y avoir ici un piège, «cela peut être une façon détournée de supprimer les émotions. Ce n’est pas toujours possible de rire», note-t-il en ajoutant qu’une attitude foncièrement positive peut cependant permettre au malade d’améliorer sa condition.

Comme autre forme d’expression, le chercheur incite les patientes à s’adonner à un art. Pendant sa conférence, il a d’ailleurs lu plusieurs extraits de poèmes écrits par des femmes malades et présenté des sculptures exécutés par ses patientes. Il n’a pas non plus hésité à faire rire son auditoire avec des bandes dessinées et à citer des auteurs comme Shakespeare et Mark Twain. Autrement dit, David Spiegel ne croit pas, comme il est de plus en plus courant, qu’on traite la dépression ou le choc post-traumatique exclusivement avec du Prozac, du Paxil et autres Zoloft. L’être humain est composé d’éléments chimiques, certes, mais il est aussi un être social, d’émotion. Il doit se «soigner» en s’exprimant, en créant des œuvres et en parlant de son sort avec ses semblables.

Antoine Robitaille



 
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