Édition du 1er décembre 2003 / volume 38, numéro 14
 
  Pétrarque, «l’inventeur de l’humanisme», traduit à l’UdeM
André Longpré a consacré 10 ans à ce travail colossal: sept tomes de 600 pages.

André Longpré

La patience était une vertu valorisée par François Pétrarque, célèbre poète du 14e siècle et «inventeur de l’humanisme», comme on le présente souvent. Et cette vertu, André Longpré, professeur retraité du Centre d’études classiques, a dû la cultiver, puisqu’il a passé 10 ans à traduire inlassablement, du latin au français, toutes les «lettres familières», les fameuses Familiares, de l’écrivain italien né en 1304 et mort en 1374.

Autre épreuve de patience pour le professeur de l’UdeM: son éditeur, la prestigieuse maison française Les Belles Lettres, a mis une autre décennie avant d’entamer la publication de son travail. Jusqu’à maintenant, trois des sept tomes prévus, de près de 600 pages chacun, en édition bilingue français-latin, ont été publiés. C’est en 2006 que l’édition de l’ensemble des quelque 400 lettres familières sera complétée.

La publication des trois premiers tomes tombe à point nommé puisqu’en 2004 on célébrera le septième centenaire de la naissance de cet «auteur vedette de la littérature médiévale tardive». La formule est de Claude Lafleur, professeur de philosophie médiévale à l’Université Laval et ancien étudiant d’André Longpré. M. Lafleur exprimait d’ailleurs l’an dernier, dans l’introduction d’un livre consacré à L’amitié chez Pétrarque (Presses de l’Université Laval), son impatience à l’égard de l’éditeur, qui tardait selon lui à rendre disponible ce qui représente pour André Longpré «l’œuvre d’une vie».

Humble, rieur, philosophe «pétrarquien» septuagénaire, comme il le dit lui-même, André Longpré n’a toutefois aucun reproche à faire à quiconque. En entrevue, il parle avec passion de la vie de «son» Pétrarque et présente avec fierté ses ouvrages. Il insiste notamment sur le fait que les notes d’introduction à l’œuvre sont signées Ugo Dotti, un Italien qu’il qualifie de «plus grand spécialiste de Pétrarque vivant».

Projet ambitieux

C’est dans les années 70 qu’André Longpré s’est lancé dans cette ambitieuse entreprise. Pour quelle raison? L’importance de l’auteur, d’une part, personnage central du 14e siècle européen et précurseur de la Renaissance. D’autre part, M. Longpré, qui enseignait les œuvres latines, trouvait que les traductions des lettres familières étaient trop rares et trop dispersées. «Alors que, selon moi, c’est son chef-d’œuvre», puisque s’y révèle un «penseur moraliste en pleine recherche spirituelle». Parce qu’il les a retravaillées et les a dépouillées de certains détails intimes, ces lettres «résistent mieux à l’épreuve du temps que plusieurs de ses autres œuvres».

Mais traduire Pétrarque n’est pas chose facile, confie-t-il. Le style du poète est ampoulé. Cependant, André Longpré a fait sienne une maxime «pétrarquienne»: «Il n’y a rien dont on ne vienne à bout par un travail acharné et assidu.» L’œuvre de Pétrarque est du reste traversée d’une volonté puriste de revenir aux règles et aux canons esthétiques du latin antique.

Ugo Dotti, en introduction au premier tome des Familiares, parle de Pétrarque comme du «restaurateur de la langue latine dans son antique splendeur». André Longpré fait remarquer que c’est ce projet du retour au style prétendument «pur» des grands auteurs qui finira par fragiliser la position du latin et qui, en définitive, en sonnera le glas comme langue vivante.

Les humanistes comparaient le latin courant de leur époque, le latin dit «clérical», celui de la scolastique, à «un bourbier où pataugent des hommes qu’il vaudrait mieux appeler des porcs». (Pétrarque fut a aussi un polémiste virulent.) Ugo Dotti avance que, «dans la conquête […] du style artistique, le développement historique du latin trouva sa tombe». Rien de pire pour la vitalité d’une langue que d’en faire une «fleur de serre».

André Longpré souligne que, paradoxalement, «Pétrarque connaîtra la gloire d’abord et avant tout par ses œuvres écrites en langue dite “vulgaire”, en Toscan», notamment le Chansonnier (le Canzoniere), recueil de sonnets à la gloire de sa muse, Laure. Pétrarque, dans sa vie, n’a pas fait que chercher à restaurer le style antique. Il a voyagé beaucoup dans toute l’Europe – grâce aux prébendes de l’Église –, se dépeignant lui-même comme un Ulysse de son époque; métaphore classique «de l’homme fort, patient et amoureux de connaissance», note André Longpré.

De ses multiples errances, il profite pour faire la chasse aux manuscrits classiques. C’est lui qui retrouve nombre de textes anciens dont s’imprégneront plusieurs auteurs de la Renaissance. En particulier les lettres de Cicéron, qu’on avait perdues jusqu’alors. Celles-ci d’ailleurs, ainsi que celles de Sénèque – surtout les Lettres à Lucilius –, deviendront pour Pétrarque un modèle.

André Longpré dit qu’il réussira en fait une sorte de compromis entre les lettres de Sénèque, purement philosophiques et dénuées de tout détail intime, et celles, plus familières, de Cicéron. Du reste, à partir de ses multiples lectures et influences (au compte desquelles il faut mettre Les confessions, de saint Augustin, livre dont il ne se séparait jamais), Pétrarque développera une philosophie teintée de stoïcisme mais au total assez «éclectique», au dire du professeur Longpré. Et dont les grands principes pourraient être grossièrement résumés ainsi: la maîtrise de soi, se contenter de peu et ne pas craindre la mort.

Dans les Familiares, Pétrarque raconte sa vie. On y découvre non seulement l’homme, explique André Longpré, mais aussi tout le 14e siècle en Europe, entre autres grâce aux personnages importants que Pétrarque a fréquentés: les papes, les cardinaux, les seigneurs italiens, l’empereur d’Allemagne. Un siècle d’ailleurs marqué par la peste noire, laquelle fut un point tournant pour Pétrarque.

Les thèmes universels des Lettres familières, notamment la mort et l’amitié (Pétrarque écrit à Cicéron et à d’autres auteurs anciens comme s’ils étaient ses contemporains; il entretient aussi une grande amitié avec Boccace, l’auteur du Décaméron), jettent les bases de l’humanisme moderne. Leur forme préfigure celle des essais du grand auteur du 16e siècle, Michel de Montaigne. Pétrarque méritait en somme qu’on lui consacre tant d’énergie.

Antoine Robitaille



 
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