Édition du 1er décembre 2003 / volume 38, numéro 14
 
  Réformes en éducation: de la social-démocratie à la marchandisation
Des chercheurs font le point sur les réformes.

Depuis quelques années, les écoles primaires vivent au rythme de la réforme. Pierre Lucier, sous-ministre de l’Éducation.

Au Québec, la réforme éducative actuellement en cours a été récupérée par le discours néolibéral. C’est du moins ce qui est ressorti du débat d’ouverture du colloque international «La profession enseignante au temps des réformes», tenu du 19 au 21 novembre.

Organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), dont le siège est à l’UdeM, ce colloque a réuni chercheurs, conseillers et décideurs de plusieurs pays et de plusieurs provinces canadiennes afin de permettre la discussion sur les enjeux des réformes en cours dans le monde de l’éducation.

Dans son allocution d’ouverture qui en a agréablement surpris plus d’un, le sous-ministre de l’Éducation du Québec, Pierre Lucier, a tenu à se distancier du «discours dominant sur la mondialisation et la prospérité économique», qui est devenu le motif des réformes en éducation.

Après avoir rappelé que le vaste programme de réformes des années 60 et 70 était d’inspiration sociale-démocrate et visait l’égalité des chances, le sous-ministre et ex-président de l’Université du Québec a déploré, à mots couverts et en filigrane, la dérive du discours actuel, qui puise son inspiration dans le new public management.

«Le défi éducatif est maintenant déterminé par les conditions économiques environnantes plutôt que par les paradigmes propres à l’enseignement, a-t-il souligné. Les référents extérieurs que sont la compétition, la mondialisation, la performance, l’imputabilité et la rationalisation balisent les pratiques sociales et culturelles et ont un impact sur l’école.»

Pourtant, l’actuelle réforme de l’enseignement primaire et secondaire trouve sa source dans les États généraux sur l’éducation, qui ont constitué un imposant exercice de réflexion collective de tout le milieu de l’éducation. Selon Claude Lessard, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation (FSE), les conclusions des États généraux étaient bien marquées de social-démocratie, mais «quelque chose est venu nous distraire, a-t-il dit. Nous sommes maintenant en présence de deux réformes: celle sur les compétences et celle dont l’enjeu est la stratification sociale qui accroît les écarts et draine la clientèle vers l’école privée.»

Paradoxe des compétences transversales

Les réformateurs ne sont pas tous voués au néolibéralisme, a toutefois nuancé Pierre Lucier. À son avis, la réforme conserve un objectif pédagogique majeur, qui est la réussite de l’élève. Et c’est là le paradoxe: une problématique issue de l’extérieur du monde de l’enseignement – l’approche par compétences – est en voie d’être intégrée avec succès par l’école alors que le milieu extérieur lui reproche ce virage mal compris.

«L’approche par compétences a apporté un progrès dans la compréhension du processus d’apprentissage, affirme le sous-ministre. En mettant l’accent sur l’apprentissage plutôt que sur l’enseignement, elle oblige les enseignants à plus de rigueur.»

Pierre Lucier, sous-ministre de l'éducation.

Selon Pierre Lucier, les résistances du milieu seraient suscitées davantage par le «discours structurant des référents» que par la nouvelle approche.

Quant aux critiques adressées par les médias et les parents à propos de ces fameuses «compétences transversales», elles résulteraient d’un problème de communication. Pour le président du Conseil supérieur de l’éducation, Jean-Pierre Proulx, également professeur en titre à la FSE, si les journalistes peuvent expliquer à la population ce que sont les aliments transgéniques, les enseignants devraient pouvoir faire la même chose avec les compétences transversales.

«Si mon médecin me dit que je souffre d’épicondylite, il va m’expliquer de quoi il s’agit. Les enseignants ont la même responsabilité, d’autant plus qu’ils interviennent dans le cadre d’un bien public qu’est l’école», indique Jean-Pierre Proulx.

Le CRIFPE 

Parmi d’autres conférenciers à avoir pris la parole à ce colloque international figurent Denyse Gagnon-Messier, présidente du Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec, Johanne Fortier, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, de même que des invités de France, de Suisse, de Belgique et du Brésil.

Le CRIFPE, qui était l’hôte de la rencontre, est issu de la mise en commun des ressources des facultés des sciences de l’éducation de l’UdeM, de l’Université Laval et de l’Université de Sherbrooke. Il regroupe des chercheurs de 13 universités canadiennes, dont 9 québécoises, et est dirigé par Maurice Tardif, professeur au Département d’administration et fondements de l’éducation de la FSE.

L’objectif du Centre est de rendre plus efficaces les pratiques d’enseignement en milieu scolaire en intégrant à la formation des maîtres les résultats de la recherche. Le Centre poursuit actuellement une vaste étude pancanadienne sur l’évolution de la profession enseignante aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire.

Daniel Baril



 
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