Édition du 8 décembre 2003 / volume 38, numéro 15
 
  Cannabis: le Canada miserait sur la répression policière
Le projet de loi sur le cannabis représente le «scénario du pire», affirme le sénateur Pierre Claude Nolin.

Pierre Claude Nolin

«Le ministre de la Justice Martin Cauchon ne m’a malheureusement pas écouté.» C’est ainsi que le sénateur Pierre Claude Nolin, qui a présidé le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, commentait le projet de loi C-38 déposé par le gouvernement fédéral sur l’usage récréatif du cannabis.

Le sénateur était de passage à l’Université de Montréal le 27 novembre dernier à l’invitation du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP).

Le projet de loi C-38 vise à décriminaliser la possession d’une quantité de moins de 15 grammes de cannabis, mais continuera d’en faire une infraction punissable d’une amende. La culture de cannabis pour consommation personnelle serait elle aussi passible d’une sanction, proportionnelle au nombre de plants saisis.

Ces mesures amélioreraient le sort des 21 000 Canadiens arrêtés chaque année pour possession de cannabis et risquant par le fait même d’avoir un dossier criminel, mais cette voie présente tellement de failles que Pierre Claude Nolin la qualifie de «scénario du pire».

Le rapport du comité Nolin, déposé en septembre 2002, proposait plutôt une légalisation pure et simple du cannabis assortie de mécanismes de contrôle semblables à ceux de la consommation d’alcool.

Après avoir rappelé les nombreux arguments sur lesquels se fonde cette recommandation, le sénateur a déploré que les parlementaires aient adopté un projet de loi sans avoir véritablement débattu les éléments objectifs de la question. Ces aspects objectifs sont ceux de la santé publique et non ceux des considérations morales.

Répression

Pierre Durand

D’après M. Nolin, le ministre Cauchon veut avant tout mettre fin à l’application variable de la loi selon les différents corps policiers. Son projet de loi ne vise donc pas à diminuer le nombre d’arrestations ou à réduire les peines, «mais bien à faciliter et à étendre l’application de la répression policière et judiciaire. En d’autres mots, le gouvernement fédéral souhaite dissuader la consommation de cannabis et surtout inciter les policiers et les tribunaux à appliquer la loi de façon énergique en élargissant le filet de répression.»

Cette orientation aurait eu pour effet de rassurer le gouvernement américain, qui avait manifesté son inquiétude quant au projet de loi C-38.

Cette interprétation des intentions ministérielles a été confirmée en octobre dernier par une déclaration de l’ancien sous-ministre de la Justice, Richard Mosley, au Rolling Stone Magazine!

Par ailleurs, le maintien du caractère illégal de la production et de la consommation de cannabis à des fins récréatives favorise toujours, selon le sénateur Nolin, l’expansion et l’enrichissement des organisations criminelles. La «prime de risque» associée à la culture du cannabis augmentera consécutivement à une répression accrue, amenant les trafiquants à élaborer de nouvelles techniques et incitant un plus grand nombre de jeunes à s’investir dans ces organisations.

Confusion

Le ministre Cauchon aurait également cherché à couper l’herbe sous le pied à la Cour suprême, qui doit se prononcer dans quelques semaines sur la validité de cinq jugements rendus par divers tribunaux ontariens depuis 2001 et qui ont jeté une grande confusion sur l’état actuel du droit. Le dernier de ces jugements, rendu en octobre, valide l’usage thérapeutique du cannabis et légitime indirectement l’existence des «clubs compassion» tout en maintenant l’illégalité de son usage récréatif.

Pour le sénateur Nolin, le message des tribunaux est clair: «Nous devons cesser de tergiverser et prendre nos responsabilités afin d’éliminer toute confusion sur les usages thérapeutique et récréatif du cannabis.»

Il faut par ailleurs savoir que le projet de loi C-38 est mort au Feuilleton à la session parlementaire de novembre. Toutefois, les mêmes orientations pourraient revenir dans un autre projet de loi. C’est maintenant au tour du sénateur Nolin de chercher à couper l’herbe sous le pied au gouvernement en tentant de donner une nouvelle orientation au débat.

Objectivité du rapport

Dans la discussion qui a suivi la conférence, Pierre Claude Nolin a eu à défendre l’impartialité de son rapport. Il a soutenu que le Comité a eu une «idée de génie» en engageant un scientifique comme directeur de recherche – le criminologue Daniel Sansfaçon – afin d’assurer la rigueur de la démarche et du contenu.

À son avis, les études qui soutiennent des positions prohibitionnistes ne passent pas le test de la rigueur scientifique. Il affirme également que son comité n’a fait aucune ségrégation dans les consultations d’experts et du public. «Les études qui ont été écartées l’avaient déjà été par d’autres groupes de recherche parce qu’elles présentaient des vices de méthode», a-t-il déclaré.

Pierre Durand, professeur à l’École de relations industrielles et codirecteur du GRASP, défend aussi la valeur scientifique du rapport Nolin. «Le rapport reflète bien les connaissances scientifiques sur la question», reconnaît-il.

Le GRASP avait invité le sénateur non pas pour être informé de ces données, déjà connues de ses membres, mais pour savoir comment les connaissances scientifiques sur les aspects sociaux de la santé pouvaient être prises en compte dans l’élaboration des lois et apprendre comment influencer les politiciens.

«Nous voulions comprendre de quelle façon les politiciens pensent et nous nous sommes rendu compte que nous avons encore du chemin à faire pour influer sur leurs décisions», a déclaré le professeur.

Daniel Baril



 
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