Édition du 8 décembre 2003 / volume 38, numéro 15
 
  Semer la terreur au nom de Dieu
La criminologue Dianne Casoni propose une réflexion sur le terrorisme.

Dianne Casoni

Pour s’attaquer au terrorisme, il faut infiltrer le terreau fertile où le fondamentalisme religieux s’enracine; là où l’on recrute à volonté des gens prêts à se faire exploser avec une ceinture de dynamite ou dans un avion pour l’idée qu’ils se font de Dieu. «La vraie guerre au terrorisme est une guerre de police, de renseignements. Non d’armée. Sinon, on risque de provoquer une escalade. C’est d’ailleurs ce qui se passe depuis que les forces de la coalition sont entrées en Afghanistan et en Irak.»

Telle est l’opinion de Dianne Casoni, professeure à l’École de criminologie et coauteure d’un ouvrage qui vient de paraître aux Presses de l’Université du Québec: Comprendre l’acte terroriste. Avec la collaboration d’un professeur de psychologie de l’UQAM, Louis Brunet, Mme Casoni a organisé, peu après les événements du 11 septembre 2001, un colloque interdisciplinaire sur la question du terrorisme. Le livre qui sort ces jours-ci reprend l’essentiel des communications présentées à cette occasion, revues et augmentées depuis. On trouve parmi les collaborateurs des spécialistes de diverses disciplines, des sciences politiques aux études stratégiques, de la philosophie à la criminologie.

La présence même de Dianne Casoni, reconnue pour ses travaux sur les sectes religieuses, peut surprendre au premier abord. Mais l’incompréhension se dissipe quand on mesure l’importance du discours sectaire chez les islamistes. «Ben Laden l’a souvent répété, mais bien avant lui d’autres terroristes ont tenu le même discours : le monde est divisé en deux camps, le camp des fidèles et celui des infidèles. Il faut purifier le monde en faisant disparaître les impurs», écrit-elle dans le chapitre intitulé «Visées psychologiques du terrorisme».

Dans des travaux antérieurs, la criminologue avait approfondi ce principe. Le clivage de type «nous contre eux» alimente la secte comme l’acte terroriste. Le membre de la secte violente et le terroriste partagent «le désir de se protéger de ce qui a été projeté sur l’autre, soit en s’isolant, soit en l’attaquant».

Un discours manichéen

Mais il ne faut pas penser que le discours manichéen n’appartient qu’aux terroristes. «Bien des chefs d’État, comme le public en général, tiennent souvent, après un attentat, un discours qui pourrait être confondu avec celui des terroristes eux-mêmes. Qui, en effet, de Ben Laden ou de George W. Bush, a parlé d’une guerre des forces du bien contre les forces du mal? On doit aussi à Bush les expressions good against evil, «l’axe du mal» et «la guerre qui oppose les manières de Dieu aux manières des terroristes».»

Les groupes ou les peuples qui sont la cible d’actes sanglants ne doivent pas appliquer la loi du talion. «Ce n’est pas une bonne idée d’assouvir sa vengeance. Il faut plutôt chercher à comprendre pourquoi de tels actes sont commis et tenter d’y trouver une réponse durable», estime Mme Casoni.

Alors, qu’aurait-il fallu faire au lendemain de l’effondrement des tours jumelles? «Ne pas céder à la panique, répond-elle. L’escalade de la violence n’a pas fait de gagnants, c’est clair. Que des victimes.»

Depuis qu’elle s’intéresse aux phénomènes sectaires, Dianne Casoni a constaté que les actes d’extrême violence étaient presque toujours le fait de gens ordinaires. C’est Monsieur ou Madame Tout-le-monde qui commet ces actes. Comme dans l’Allemagne nazie ou au cours du génocide du Rwanda, ceux qui ont participé aux massacres étaient des personnes ordinaires qui ne faisaient plus la différence entre le bien et le mal. Des hommes et des femmes qui avaient perdu leur sens critique.

À son avis, c’est en s’attaquant aux conditions de vie des pays où l’on recrute les plus fervents terroristes qu’on a le plus de chances d’avoir un effet sur le terrorisme. «L’Italie a démontré que c’était possible lorsqu’elle s’en est prise aux Brigades rouges. Au lieu de faire la guerre aux malfaiteurs, elle a repensé ses programmes sociaux, soutenu les activités locales.»

Hyperpuissance hyperdétestée

Mme Casoni n’est pas seule à penser ainsi. Pour Charles-Philippe David, de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, l’alliance des États-Unis et de l’Arabie Saoudite est au cœur des événements du 11 septembre. La présence des Américains dans le golfe Persique a contribué à accroître les foyers de terrorisme. Si l’on veut éviter que de «petits Ben Laden» exploitent cette interaction explosive entre les pays arabes et les États-Unis, il faut accroître les stratégies diplomatiques, car «l’hyperpuissance est hyperdétestée».

Les Canadiens ont été secoués par les attentats du 11 septembre, qui sont survenus dans leur cour arrière, pourrait-on dire. Mme Casoni et M. Brunet ont voulu proposer une réflexion qui soit multidisciplinaire. Le point de vue philosophique est présenté par Jocelyne Couture, qui s’interroge sur une vieille question: la fin justifie-t-elle les moyens? On trouve aussi des textes à teneur psychologique, psychanalytique, théologique et criminologique. Plusieurs collaborateurs sont d’anciens étudiants de l’Université, et l’une d’entre eux, Marie-Andrée Pelland, est actuellement inscrite au doctorat à l’École de criminologie.

Mathieu-Robert Sauvé

Dianne Casoni et Louis Brunet (dir.), Comprendre l’acte terroriste, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2003, 148 p.



 
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