Édition du 8 décembre 2003 / volume 38, numéro 15
 
  Les pièges de la justice réparatrice
Les experts critiquent l’application de ce concept au système pénal.

Isabelle Bartkowiak et Serge Charbonneau

«Si je le pouvais, j’alignerais 10 meurtriers contre le mur et j’appuierais moi-même sur la gâchette. Voilà ce qui me ferait du bien.» Ce témoignage est celui de la mère d’une adolescente assassinée, entendu dans le reportage sur la justice réparatrice de l’émission Enjeux du 25 novembre dernier.

Le concept de la justice réparatrice n’est pas violent en soi, mais ces paroles en font ressortir toute l’ambiguïté. L’idée, fort louable, est d’amener l’auteur d’un délit à réparer le tort qu’il a causé à sa victime. L’application prend parfois la forme d’une rencontre entre victimes et criminels afin que ceux-ci prennent conscience de la souffrance infligée.

«Dans le système pénal, la représentation idéaliste de la réparation est en total décalage avec la véritable réparation pour la victime, fait toutefois valoir Isabelle Bartkowiak. La punition n’est pas réparatrice. Comment réparer un homicide ou un viol?»

La chercheuse postdoctorale à l’École de criminologie participait à un débat sur la question organisé le 26 novembre par le Centre international de criminologie comparée. Après avoir présenté un tableau de la situation en France et au Québec, Mme Bartkowiak s’est montrée plutôt sceptique quant à la pertinence d’appliquer le concept de façon intégrale au domaine pénal.

«Les victimes d’agression ne veulent pas de réparation, affirme-t-elle. Elles souhaitent une punition pour que l’agresseur souffre autant qu’elles. Si elles désirent une compensation financière, elles doivent intenter des recours en vertu du Code civil

À son avis, le principe est défendable s’il s’agit de rechercher une «justice juste», mais il existe un risque que l’approche devienne un fourre-tout servant davantage la réhabilitation que la réparation.

Plus favorable à cette approche, Serge Charbonneau, représentant du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec, a souligné que, même si la justice réparatrice est l’antithèse théorique de la justice punitive, elle ne peut, en pratique, qu’être complémentaire aux sanctions.

L’une des meilleures illustrations de l’application du principe est, à son avis, le fait que les tribunaux tiennent compte des attentes et des besoins de la victime. «L’introduction de cet élément dans la machine pénale va transformer le système et l’amener à accorder plus de place à la victime», soutient-il.

La loi sur l’indemnisation des victimes d’acte criminel lui apparaît comme un autre exemple de justice réparatrice.

Justice autochtone

Hubert Van Gijseghem

Hubert Van Gijseghem, professeur à l’École de psychoéducation, voit d’un très mauvais œil le virage idéologique en voie d’instauration dans le système pénal. Dans une analyse percutante – «Justice réparatrice et psychopathie» – publiée dans le dernier numéro de la Revue de psychoéducation (vol. 32, no 2), le professeur soutient que l’institutionnalisation de ce principe risquerait de pervertir l’application de la justice.

«L’idée des rencontres entre victimes et criminels vient des aumôniers de pénitenciers, déclarait-il à Forum. C’est une vision doucereuse et quétaine du pardon et les criminels sont morts de rire de cette naïveté affichée par les aumôniers»,

Selon les témoignages de l’émission Enjeux, la démarche de certaines victimes était effectivement fondée sur la foi.

Dans son article, Hubert Van Gijseghem rappelle l’origine autochtone du principe et s’inquiète de ses fondements strictement sociologiques et communautaires. Adaptés à de petits groupes sociaux dont les membres se connaissent ou sont même apparentés, partageant une vision animiste du monde et faisant face à des contraintes de survie sans commune mesure avec nos modes de vie, les éléments de justice réparatrice seraient sans effet entre étrangers.

Implanter la justice autochtone dans une société comme la nôtre équivaudrait à commettre la même erreur que celle d’avoir imposé notre forme de justice aux autochtones, estime le professeur, qui a agi à titre de consultant dans l’affaire des agressions sexuelles de Povungnituk.

Psychopathes repentis?

Mais il y a pire. Les défenseurs de la justice réparatrice ne tiendraient pas compte du fait qu’environ 30 % des hommes reconnus coupables d’actes criminels sont catalogués comme psychopathes. Leur structure de personnalité les rendrait imperméables à la honte et au repentir. Il y a donc un risque qu’ils jouent le jeu des aveux opportunistes et renforcent leur profil antisocial en s’offrant une nouvelle victoire sur leurs victimes.

Le psychoéducateur s’inquiète donc des intentions du gouvernement fédéral, qui voudrait généraliser la justice réparatrice à l’ensemble de l’appareil judiciaire sans égard au type de crime. Pour éviter de confondre réparation, réhabilitation et punition, il recommande de limiter cette approche aux délits qui n’atteignent pas l’intégrité physique d’une personne et à des contrevenants qui en sont à une première offense et qui n’ont pas de personnalité antisociale.

Dans le reportage d’Enjeux, des meurtriers avouaient que la rencontre avec des proches des victimes était plus pénible que le fait d’être incarcérés et ils ont même versé quelques larmes. Quant à la mère citée en début d’article, elle a fini par pardonner. Hubert Van Gijseghem propose tout de même que des études longitudinales soit menées sur ce type de mesures afin d’en évaluer les effets réels et avant d’en étendre l’application.

Daniel Baril



 
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