Édition du 8 décembre 2003 / volume 38, numéro 15
 
  Joueurs pathologiques en crise: intervenir rapidement sauve des vies
Magali Dufour est psychologue d’urgence au Casino de Montréal.

Magali Dufour vient en aide aux joueurs du Casino de Montréal qui sont victimes d’une crise.

Lorsqu’elle est de garde, soit une dizaine de jours par mois, Magali Dufour ne se sépare jamais de son téléavertisseur, qui peut sonner en pleine nuit, pendant une réunion ou au beau milieu d’un cours. Son entourage est prévenu: si c’est le Casino de Montréal qui la réclame, elle cesse tout et se précipite à l’île Notre-Dame. «La plupart du temps, je suis sur place en 30 minutes», dit-elle.

En collaboration avec la maison Jean-Lapointe, un centre de désintoxication situé dans le Vieux-Montréal, cette psychologue participe depuis trois ans à un programme d’intervention de crise auprès des joueurs pathologiques. Son travail consiste à rencontrer, dans les plus brefs délais, un joueur qui a disjoncté. «Chaque membre du personnel du Casino reçoit une formation qui lui permet de reconnaître les symptômes du joueur en crise, explique-t-elle. Ils sont en général assez faciles à déceler: menaces d’agression, sanglots, sautes d’humeur. Certains s’en prennent à leur machine à sous. Mais il y a des crises plus discrètes. Certains employés peuvent proposer à une personne qui semble à risque de venir prendre un café, pour dialoguer. D’où l’importance de bien former le personnel.»

Une fois que le joueur en crise a été repéré, Mme Dufour ou un autre psychologue de garde se présente dans une pièce du Casino où la rencontre a lieu. Un intervenant de la maison Jean-Lapointe est aussi présent. L’échange, généralement «très intense», consiste à verbaliser, à chaud, les événements qui ont mené la personne jusque-là. La rencontre peut durer jusqu’à deux heures. C’est le même genre d’intervention qu’on pratique auprès des victimes de hold-up ou de crime violent et qui permet de «ventiler» l’épisode traumatique.

Éviter le suicide

On estime que 2,1 % des joueurs développent une dépendance pathologique au jeu. Mais cette proportion aurait doublé depuis 1989, alors qu’elle n’était que de 1,2 %. Au Québec, cela pourrait représenter plus de 150 000 personnes, et 5000 nouveaux cas par année. Le Casino n’est pas le seul endroit où l’on retrouve des joueurs pathologiques: ceux-ci sont beaucoup plus nombreux à jouer leur paie quotidiennement à la brasserie du coin.

Benoît a tout perdu au jeu. Sa mère, également joueuse, a même succombé à une crise cardiaque au Casino de Montréal il y a quelques années. Il attribue sa survie au travail de l’équipe d’intervention. «Nous, les joueurs, quand on a besoin d’aide, on a besoin d’aide tout de suite, pas dans six mois», confiait-il au cours d’une entrevue à La Presse.

Depuis que Magali Dufour s’est jointe à l’équipe, une quarantaine de joueurs comme Benoît ont bénéficié de ce service unique. Quand on sait que, selon le centre Dollard-Cormier, au moins 13 décès par suicide ont été rapportés à la suite de pertes au Casino de Montréal en 2001, l’utilité de ce programme est indéniable. «Un grand nombre de personnes en crise ont des idées suicidaires. Elles ne passeront pas toutes à l’acte, mais il faut intervenir rapidement afin d’éviter qu’elles soient laissées à elles-mêmes», explique Mme Dufour.

Sur le plan thérapeutique, il est démontré que la période de crise est propice pour modifier son comportement. «Les crises sont une porte ouverte à l’intervention. C’est un moment très éprouvant pour la personne, mais au moins elles démontrent que les choses bougent…»

Toutefois, il survient souvent de nombreuses rechutes avant que le joueur parvienne à maîtriser de façon permanente son habitude. «Près du quart des personnes que nous aidons dans ce programme sont sans domicile fixe au moment de la crise; elles logent chez des amis ou des parents, car elles ont perdu leur toit», mentionne-t-elle.

Si l’on se fie aux personnes rencontrées durant les interventions de crise, le jeu excessif menace plus souvent les hommes (trois sur quatre) et 29 % sont des prestataires de l’aide sociale. Mais plusieurs clients provenaient de couches sociales plus aisées, précise l’intervenante.

Est-il vrai que la folie du jeu touche principalement les immigrants? Non, on compte autant de joueurs d’origine canadienne que de membres des autres communautés culturelles.

De la toxicomanie au jeu

C’est en raison de son expertise en toxicomanie que Magali Dufour a été invitée à se joindre à l’équipe d’intervention du Casino de Montréal. À titre de psychologue rattachée à l’hôpital Royal-Victoria, elle avait remarqué qu’une grande partie de sa clientèle toxicomane souffrait aussi de dépendance au jeu. «Mon projet de thèse de doctorat n’a pourtant rien à voir avec ce sujet, note-t-elle. Je me suis intéressée à la résilience chez les victimes d’agressions sexuelles.»

Diplômée en 2000, Mme Dufour est à la fois clinicienne et chercheuse. Elle a d’ailleurs publié plusieurs études sur la résilience, les agressions sexuelles et la toxicomanie, notamment en collaboration avec sa directrice de thèse, la toxicologue Louise Nadeau. Depuis, elle s’est spécialisée dans la double dépendance que les spécialistes nomment comorbidité.

Magali Dufour partage aujourd’hui son temps entre les interventions cliniques et la Faculté de l’éducation permanente, où elle est responsable du Certificat en toxicomanie. Ce programme d’études, auquel sont inscrits quelque 700 étudiants à Montréal, est aussi suivi hors campus, par des étudiants suisses et français.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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