Édition du 12 janvier 2004 / volume 38, numéro 16
 
  Le choc du cancer
L’annonce d’un cancer provoque chez la personne atteinte des réactions similaires à celles que déclenche un danger menaçant

Le Dr Nicolas Bergeron

Lorsqu’un patient apprend qu’il est atteint d’un cancer, sa pression artérielle augmente, ses pupilles se dilatent, son rythme cardiaque s’accélère, ses muscles se gonflent. «Ce sont des réactions physiologiques programmées pour faire face à une menace comme une agression ou une explosion qui mettent notre vie en danger», souligne le Dr Nicolas Bergeron, chargé d’enseignement clinique au Département de psychiatrie et psychiatre à l’Hôtel-Dieu du CHUM.

Le Dr Bergeron participait, en novembre dernier, au colloque organisé par la Chaire en diagnostic du cancer du sein de l’UdeM, au cours duquel il a dressé un parallèle entre les réponses biologiques provoquées par l’affrontement d’un grand danger et celles suscitées par l’annonce, traumatique, d’un cancer.

Il semble bien que l’organisme réagisse de la même manière dans les deux cas; face au péril, le système nerveux sympathique et les glandes surrénales libèrent un flot d’hormones qui nous préparent ou à combattre le danger, ou à le fuir. Dans les deux situations, il peut même s’ensuivre, pour la victime, un état de stress post-traumatique.

Mais dans le cas d’un cancer, la menace vient de l’intérieur: il est impossible d’y faire face par les armes traditionnelles du combat et encore moins de fuir.

Mémoire traumatique

 «Chez les personnes qui ont subi un événement traumatisant, l’augmentation du rythme cardiaque due au stress aigu dure pendant une semaine après l’épisode, affirme le Dr Bergeron. Chez 47 % d’entre elles, des réactions amplifiées de sursaut sont observables jusqu’à quatre mois plus tard. En outre, plus de 20 % garderont des séquelles plus ou moins permanentes comme de l’hyperactivité, des signes de dépression, des troubles du sommeil et de l’attention. C’est le cas de 5 % des femmes à qui l’on a annoncé un cancer du sein.»

C’est ce que les chercheurs ont nommé la mémoire traumatique. En situation d’alerte, la mémoire devient plus perméable aux éléments environnants afin d’enregistrer les conditions du danger. Il s’agirait d’une habileté adaptative de survie permettant d’éviter ce même danger lorsqu’il se présente de nouveau.

«À New York, des hommes et des femmes qui ont vécu de près les attentats du 11 septembre ont associé le ciel bleu au traumatisme qu’ils ont subi parce qu’il faisait beau cette journée-là. D’autres revivent ces événements lorsqu’ils perçoivent la même odeur de fumée», souligne le psychiatre, qui se trouvait à New York au moment de l’attaque contre les tours jumelles. Une personne à qui l’on annonce un cancer pourra, quant à elle, associer l’élément du cabinet du médecin au sentiment stressant éprouvé à cette annonce.

Ce stress aigu laisse des traces indélébiles dans la mémoire traumatique, favorisées par un haut degré d’adrénaline et un faible taux de cortisol, deux hormones libérées par les surrénales.

«L’adrénaline nous prépare à la fuite alors que le cortisol freine ce mouvement et permet de nous ressaisir une fois le danger écarté, explique Nicolas Bergeron. Mais en situation de stress aigu, le niveau de cortisol est trop bas pour moduler l’effet d’hyperactivité de l’adrénaline et ce niveau reste bas tout au long de la période de stress post-traumatique. Le résultat est que la personne est en état d’alerte permanent.»

Outre les hormones, le stress post-traumatique met en cause trois centres nerveux. D’abord l’amygdale, siège de la mémoire émotionnelle (et traumatique), provoque le sentiment de peur. Puis l’hippocampe fournit des repères visuels permettant ensuite au cortex préfrontal de tempérer la réponse de fuite.

«Si je prends une corde pour un serpent, mon amygdale me commande de fuir, indique le psychiatre. Mais mon hippocampe m’indique que je suis dans un bureau, ce qui permettra à mon cortex préfrontal de me ramener à la réalité. Mais à l’annonce d’un cancer, l’hippocampe et le cortex préfrontal n’arrivent plus à jouer leur rôle parce que la mémoire émotionnelle de l’amygdale est trop stimulée.»

Considérations cliniques

 Pour le Dr Bergeron, il est donc essentiel que les cliniciens tiennent compte de ces données lorsqu’ils doivent annoncer une nouvelle traumatisante comme celle d’un cancer. «Au moment du choc, il ne sert à rien de donner trop d’information parce que le patient ne retient rien, affirme-t-il. Il faut parler à l’hippocampe plutôt qu’à l’amygdale pour diminuer l’état d’excitation et attendre d’autres rencontres, après le choc, pour donner tous les renseignements et expliquer les traitements.»

Il semble aussi important que les patients soient accompagnés d’un proche qui demeure en état d’enregistrer les consignes.

Les réactions à un événement traumatisant varient en fonction de la vulnérabilité de l’individu et de sa perception du danger.

Ceux qui ont déjà vécu des épisodes traumatisants sont plus à risque de souffrir d’un stress post-traumatique et les cliniciens devraient en tenir compte dans l’observation du patient. Les recherches montrent également que ceux qui auraient un hippocampe plus petit que la moyenne présenteraient plus de risques de subir un tel stress.

Daniel Baril



 
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