Édition du 12 janvier 2004 / volume 38, numéro 16
 
  Les immigrantes en meilleure santé que les canadiennes
Mais au bout de 10 ans, leur état de santé est aussi préoccupant que celui des canadiennes

Bilkis Vissandjée

Le nombre de femmes immigrantes qui se considèrent comme en bonne ou en excellente santé est supérieur à celui des femmes nées au Canada. Mais leur proportion diminue avec le nombre d’années passées au pays.

Voilà les inquiétantes conclusions auxquelles arrive Bilkis Vissandjée, professeure à la Faculté des sciences infirmières, au terme d’une analyse des données de l’Enquête nationale sur la santé des populations de Statistique Canada. Cette analyse constitue un chapitre inédit qui sera ajouté sous peu au Rapport de surveillance sur la santé des femmes, dont l’essentiel a été publié en septembre dernier.

Les données montrent, toutes provenances confondues, que 94 % des femmes nouvellement arrivées au Canada se disent en bonne santé contre 86 % des femmes nées au pays. L’écart est encore plus grand parmi les femmes aux conditions socioéconomiques précaires, soit 93 % contre 79 %.

Chez les immigrantes qui résident au Canada depuis 10 ans et plus, la proportion de femmes qui disent être en bonne ou en excellente santé passe à 80,5 %.

À leur arrivée au pays, 44 % des immigrantes déclarent souffrir d’une maladie chronique, un taux qui grimpe à 75 % après 10 ans de résidence pour atteindre un niveau égal à celui des femmes nées au Canada. Comparativement aux Canadiennes, ce sont les femmes en provenance de l’Asie du Sud qui déclarent le moins de maladies chroniques et celles de l’Europe de l’Ouest qui en déclarent le plus.

Cet écart entre Canadiennes et immigrantes s’observe également chez les hommes, mais de façon moins marquée. Deux hypothèses peuvent être avancées: ou bien les hommes sont déjà en moins bonne santé à leur arrivée, ou bien leur état se dégrade moins que celui des femmes.

Changement d’habitudes

Les conditions de vie au Canada seraient-elles inférieures à celles des pays d’où proviennent les immigrantes?

«Elles sont plutôt différentes, répond la chercheuse. Les fruits et légumes, par exemple, coûtent ici plus cher que dans plusieurs des pays d’origine des immigrantes. Au fil des ans, ces femmes changent leurs habitudes et adoptent des solutions de facilité comme la consommation de hamburgers et de frites. Le Guide alimentaire canadien n’est par ailleurs pas adapté à toutes les cultures et les immigrantes ne vont pas nécessairement suivre ses recommandations. De plus, les campagnes de sensibilisation à une saine alimentation ne les atteignent pas.»

Aussi, comme les immigrants sont soumis à un examen médical, seuls ceux dont l’état de santé est jugé adéquat seront sélectionnés, ce qui peut expliquer en partie l’écart observé. Mme Vissandjée n’exclut pas non plus le facteur subjectif susceptible d’orienter les résultats, les points de référence et les critères de santé pouvant différer au Canada et dans les pays d’origine.

Cerner l’effet du genre

Pour Bilkis Vissandjée, il est important de définir des critères d’évaluation de la santé qui prennent en considération l’effet du genre et celui de la trajectoire migratoire.

«L’appartenance ethnique n’est pas la seule variable dont il faille tenir compte, souligne-t-elle. Le fait d’avoir vécu une migration et un processus d’intégration sont des déterminants aussi essentiels que celui de l’ethnicité.»

Quant aux marqueurs du genre, ils doivent comprendre plus que le sexe de la personne. «La notion de genre inclut le contexte social dans lequel vit l’individu, précise Mme Vissandjée. Le cancer du sein, par exemple, est lié au sexe puisqu’il n’affecte presque exclusivement que les femmes, mais il est aussi lié au genre, car le mode de vie de la femme a une incidence sur ce cancer.»

Le revenu des femmes et leur maîtrise de la langue de la communauté d’accueil constituent d’autres déterminants dont il faut tenir compte puisqu’ils conditionnent l’accès aux services de santé. Par ailleurs, la scolarité est un facteur qui détermine l’apprentissage d’une nouvelle langue.

Selon Mme Vissandjée, les immigrantes utilisent moins les services de santé que les Canadiennes parce qu’elle les connaissent moins bien. Elles ont aussi tendance à rechercher des médecins de même appartenance ethnique même si cela ne leur assure en rien un service de meilleure qualité.

Tous ces éléments devraient être considérés dans l’élaboration de marqueurs qui restent à raffiner afin de mieux cerner et comprendre l’état de santé des femmes immigrantes.

Malgré le travail à accomplir pour intégrer ces marqueurs dans les outils d’enquête, le Canada serait un leader mondial dans la définition d’indicateurs de genre, toujours selon la professeure. «Les travaux canadiens sont très prisés sur la scène internationale, notamment au sein de l’OMS», affirme-t-elle.

En plus d’être cosignataire du Rapport de surveillance sur la santé des femmes, Bilkis Vissandjée a été consultante pour le rapport de Santé Québec sur la santé des Québécoises, qui devrait être rendu public ce mois-ci.

Daniel Baril



 
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