Édition du 12 janvier 2004 / volume 38, numéro 16
 
  À la défense de la psychanalyse
Professeure au département de psychologie, Hélène David réplique à la critique de la psychanalyse présentée par deux professeurs dans une précédente livraison de Forum.

En dénigrant la psychanalyse, on jette le bébé avec l'eau du bain, déplore Hélène David.

Hélène David n’en doute pas: la psychanalyse n’est pas morte avec Freud et cette approche a conservé toute sa pertinence pour comprendre les motifs inconscients du comportement humain.

Professeure au Département de psychologie, Mme David a tenu à réagir aux propos de deux de ses collègues de l’École de psychoéducation sur la psychanalyse rapportés dans le numéro de Forum du 1er décembre («L’imposture freudienne») et mettant en doute la scientificité de cette approche.

Tout en reconnaissant que le travail de Freud n’est pas exempt de reproches, Hélène David considère que les critiques adressées à la psychanalyse reposent généralement sur une vision ancienne et dépassée de cette discipline et ne tiennent pas compte des développements des 50 dernières années. Rejeter la psychanalyse parce que Freud s’est trompé sur certains points, «c’est comme rejeter la physique moderne parce que Newton n’a pas découvert la relativité», avance la professeure.

La psychanalyse aurait été victime de son succès obtenu au début du 20e siècle. «Mais dans les années 40 et 50, elle a perdu son âme en prétendant tout expliquer. Aujourd’hui, tous reconnaissent que la psychanalyse doit s’exercer dans un contexte précis qui ne convient pas à tout le monde ni à toutes les situations. En contexte de crise, par exemple, il faut recourir à une psychothérapie cognitive pour soulager la souffrance. Toutefois, si le patient veut comprendre la source lointaine de son problème, il n’existe pas 10 000 approches; le brassage du passé relationnel avec ses parents va s’imposer.»

La psychanalyse n’en est plus de nos jours au «crois ou meurs», ajoute Mme David. «On ne présente pas de certitudes comme faisait Freud en imposant au patient une interprétation qu’il n’était pas prêt à entendre. On propose des hypothèses. Le thérapeute doit mettre son narcissisme de côté et savoir rester en retrait afin d’éviter d’imposer ses propres certitudes. Le contraire serait de l’antipsychanalyse.»

Développements théoriques

Au chapitre des développements récents, Hélène David mentionne que la théorie de l’attachement, très à la mode actuellement en psychologie, provient de la psychanalyse. Selon cette théorie, l’attachement parental établi dans le très jeune âge devient le modèle de l’attachement chez l’adulte, que ce soit dans les relations amoureuses ou autres.

Même observation à propos de la théorie des relations d’objet, à laquelle recourent les thérapeutes et qui postule que le type de relation nouée par le patient avec son thérapeute est à l’image de la relation qu’il a nourrie avec ses parents. On reconnaît ici la base de la notion de transfert définie par Freud et désignant la projection œdipienne effectuée par le patient sur son thérapeute.

Par ailleurs, les nombreux travaux longitudinaux sur le développement de l’enfant montrent l’importance déterminante des événements et des conditions de vie de la petite enfance dans le profil psychologique de l’individu. «Freud l’avait déjà affirmé, ce qui avait causé un scandale à l’époque», rappelle la professeure.

Alors que le béhaviorisme, qui a détrôné la psychanalyse au tournant des années 50, rejetait la notion d’inconscient, Hélène David signale que la psychologie cognitive, qui lui a succédé, reconnaît aujourd’hui la notion d’inconscient cognitif qui gouverne les processus affectifs et motivationnels.

Méthode empirique et recherche de sens

La notion d’inconscient, comme source de nos motivations, désirs, affects et émotions, apparaît comme le principal héritage légué par Freud. Dans un texte à paraître cette année dans la revue de psychanalyse Filigrane, Hélène David qualifie cette notion de «découverte révolutionnaire».

Dans ce même texte, la professeure déplore que ses collègues d’orientation psychanalytique cèdent à la pression du milieu universitaire et censurent toute référence aux concepts propres à cette approche. Ce «camouflage» est imposé par les lois du milieu qui ne reconnaissent, comme scientifiques, que les méthodes empiriques, seules dignes d’être subventionnées. Ceci dénaturerait la méthode psychanalytique, qui s’accommode mal des méthodes empiriques.

«Notre champ d’expertise, de réflexion et de recherche, écrit-elle, réside dans la réflexion théorique, clinique, épistémologique. […] Pas de laboratoire avec équipement sophistiqué, seulement une tête pour penser et des patients comme matière à penser.»

Cette subjectivité est l’âme même de la psychanalyse, dont la spécificité et la pertinence résident dans la recherche de sens: «Mettre du sens dans le passé et le présent, de façon transversale et longitudinale, pour savoir qui vous êtes devenu en fonction de qui vous étiez.»

La recherche de sens ne relèverait en rien du domaine religieux. «Freud était antireligieux et considérait la religion comme un refuge réconfortant en situation d’inconfort. La psychanalyse n’appartient pas au monde de la croyance; elle est basée sur l’observation des relations entre les mères et leurs enfants.»

La plupart des théorisations freudiennes seraient donc encore valides et «fournissent aux thérapeutes des outils efficaces dans leur pratique de tous les jours. On aurait donc tort de reléguer cette méthode aux oubliettes et de jeter le bébé avec l’eau du bain», conclut Hélène David.

Daniel Baril



 
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