Édition du 12 janvier 2004 / volume 38, numéro 16
 
  Légaliser la torture?
Le célèbre avocat Alan Dershowitz estime que le recours à la torture peut être justifié dans certains cas. Selon lui, les pays démocratiques devraient inclure cette pratique dans leurs loi, ce qui permettrait d’en baliser l’usage de façon claire

Alan Dershowitz

Le célèbre avocat Alan Dershowitz estime que le recours à la torture peut être justifié dans certains cas, lorsqu’il s’agit d’extorquer des renseignements cruciaux à des terroristes. C’est pourquoi il souhaite que les pays démocratiques incluent ce recours dans leurs lois, mais en limitant son usage de façon claire.

M. Dershowitz était de passage à l’Université le 8 décembre dernier, à l’invitation de la Faculté de droit et du Centre de recherche en éthique de l’établissement. Devant une cinquantaine d’étudiants, il a exprimé l’opinion que dans certains cas – comme quand il s’agit de faire avouer rapidement à un terroriste où est cachée la bombe qui risque de tuer un grand nombre de personnes – la torture était nécessaire.

«Les lois actuelles ont été écrites à une autre époque et elles ne permettent pas de répondre adéquatement au terrorisme. Nous avons besoin d’un nouveau système de droits (rights) pour nous attaquer aux nouveaux maux (wrongs) du terrorisme», a-t-il plaidé.

Alan Dershowitz est professeur de droit à l’Université Harvard. Il est également un criminaliste réputé. Il a notamment été l’avocat de l’ex-footballeur O.J. Simpson, accusé puis disculpé du meurtre de sa femme. Le projet de M. Dershowitz de permettre la torture dans des situations particulières, amplement débattu depuis deux ans, lui a valu de nombreuses critiques, notamment de la part d’organisations des droits de la personne. Ces dernières trouvent inacceptable d’ouvrir la porte à la torture, légitimant ainsi un comportement qui, à leur avis, risquerait de s’étendre.

Pour sa part, l’avocat s’est bien défendu de prôner la torture. Il estime toutefois qu’en l’encadrant – par exemple en exigeant des autorités concernées qu’elles obtiennent au préalable une permission d’un tribunal avant de torturer un individu – la chose cesserait d’être cachée.

«Je n’approuve pas l’attitude qui consiste à dire “Faites-le [torturer], mais ne nous le dites surtout pas. Le président des États-Unis ne veut pas savoir.” Je trouve que ce n’est pas bien dans une démocratie. Il y a de la torture à Guantanamo [où sont détenus les prisonniers capturés à la suite de l’invasion de l’Afghanistan]; on place la tête des prisonniers dans des sacs qui sentent mauvais, on leur secoue la tête, on leur fait entendre de la musique très forte.» Au cours des deux dernières années, M. Dershowitz a souvent cité en guise d’illustration de torture qui pourrait être pratiquée, notamment parce qu’elle ne peut provoquer la mort, celle qui consiste à insérer une aiguille stérilisée sous l’ongle du terroriste.

Selon l’avocat américain, la question qui doit être posée se résume ainsi: «La torture doit-elle être pratiquée légalement ou illégalement?»

Comme on pouvait s’y attendre, M. Dershowitz n’est pas très tendre envers l’Organisation des Nations Unies, qui se réjouit lorsqu’un nouveau pays signe l’accord international bannissant la torture, sans se préoccuper de savoir si le nouvel adhérent respectera sa signature. «L’hypocrisie sort grande gagnante dans ces cas-là», résume-t-il. Certains des étudiants qui ont écouté M. Dershowitz ont mis en doute son appel à la légalisation de la torture. D’autres ont exprimé un certain scepticisme lorsqu’il a affirmé catégoriquement que les sources du terrorisme n’avaient rien à voir avec l’humiliation subie par des peuples ou des individus.

«La source du terrorisme n’a aucun rapport avec la pauvreté et l’humiliation. Il s’agit plutôt d’une tactique utilisée par une élite éduquée et riche.» L’avocat admet cependant que les chefs terroristes trouveront un plus grand nombre de recrues au sein de groupes sans avenir. «Mais personne ne devient terroriste parce qu’il est pauvre», a-t-il déclaré.

Une partie de la communication de M. Dershowitz a porté sur le conflit israélo-palestinien, que le conférencier a amplement cité pour démontrer qu’il ne fallait pas faire le jeu des terroristes en cédant à leurs exigences. Dans ce cas, a-t-il constaté, la surenchère ne s’arrête jamais. Récompenser le terrorisme ne fait qu’accréditer l’efficacité de cette tactique et en accroître le recours, a-t-il prévenu.

Paule des Rivières



 
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