Édition du 19 janvier 2004 / volume 38, numéro 17
 
  Bleuet et cumin contre le diabète?
Des substances actives dans ces deux plantes augmentent la réponse cellulaire à l’insuline

Ces graines de nigelle (ou cumin noir) auraient des propriétés antidiabétiques, selon l’étude du professeur Pierre Haddad.

Les gens atteints de diabète sucré pourraient bientôt disposer de nouveaux adjuvants à leur médication: le bleuet et le cumin noir! Des études de Pierre Haddad, professeur au Département de pharmacologie, montrent en effet que des extraits de ces deux plantes, souvent recommandées aux diabétiques par les naturopathes, augmentent de près du double la réponse des cellules du foie à la présence d’insuline.

Le professeur Haddad livrait les résultats de ses travaux au cours d’une conférence organisée à l’UdeM le 15 janvier par le Groupe d’étude des protéines membranaires (ex-Groupe de recherche sur le transport membranaire).

Les plantes les plus recommandées

Avec des collègues de l’Université Mohamed V de Rabat, au Maroc, le chercheur a d’abord procédé à une étude comparative des plantes les plus fréquemment suggérées à des fins thérapeutiques par les herboristes, les naturopathes et le personnel de boutiques d’aliments naturels du Québec et du Maroc. «Le but était de désigner les plantes vers lesquelles diriger nos travaux», explique le chercheur.

Au Maroc, le recours à la phytothérapie remonte à plusieurs siècles et cette approche côtoie maintenant la médecine moderne. Toutefois, aucune étude quantitative n’avait jamais été faite sur l’usage des herbes médicinales. Au pays, devant l’attrait grandissant de cet usage, Santé Canada a adopté une réglementation qui obligera les producteurs à respecter des normes de qualité dans la production et l’étiquetage des produits (page suivante).

Même si l’on peut se procurer la plupart des extraits de plantes dites médicinales à peu près partout, une seule, soit l’ail, se trouve à la fois sur la liste québécoise et sur la liste marocaine des 20 plantes les plus souvent mentionnées. Au Maroc, l’ail est recommandé par les herboristes pour soulager les rhumatismes, alors qu’au Québec on le conseille comme antiseptique et pour combattre les problèmes circulatoires. La plante la plus suggérée entre toutes au Québec est l’échinacée (comme stimulant immunitaire et contre le rhume), placée en tête de liste par 36 % des répondants.

Plantes antidiabétiques

En demandant à ces mêmes répondants d’indiquer quelles plantes ils recommandent le plus souvent dans le traitement du diabète, une seule plante est de nouveau apparue sur les deux listes, soit le fenugrec, une épice du Moyen Orient à odeur de cari. Elle figure en première place dans la liste du Maroc alors que la plante la plus fréquemment citée au Québec est… le bleuet!

Puisque des études avaient déjà montré que le fenugrec augmentait la sécrétion d’insuline, l’équipe de Pierre Haddad a donc retenu le bleuet – qui n’a jamais fait l’objet d’étude liée au diabète – ainsi que le cumin noir (plus exactement la nigelle), sur lequel les chercheurs marocains se sont déjà penchés. Cette plante arrive au cinquième rang sur la liste marocaine des plantes réputées antidiabétiques.

Les résultats de Pierre Haddad révèlent que les cellules de foie de rats gavés à la nigelle pendant un mois réagissent deux fois plus à la présence d’insuline que les cellules du groupe témoin. Ce sont les molécules les plus hyposolubles, soit celles de nature huileuse tirées des graines et qui restent à identifier, qui se sont avérées les plus actives.

Quant au bleuet, les chercheurs ont utilisé des extraits de feuilles, de fruits, de tiges et de racines. L’effet, mesuré in vitro et toujours à partir de cellules de foie mises en contact avec l’insuline, est apparu plus faible qu’avec la nigelle, sauf pour les extraits de racines, qui ont produit uneffet de même importance. Les chercheurs ne connaissent pas, dans ce cas non plus, quel est l’ingrédient actif.

Selon Pierre Haddad, les extraits de nigelle et de racines de bleuet pourraient donc s’avérer utiles dans le traitement du diabète sucré de type II (non insulinodépendant). Dans ce type de diabète, la quantité d’insuline produite par le pancréas est insuffisante pour répondre aux besoins de l’organisme. Comme l’insuline freine la production de glucose par le foie, son manque entraîne une hyperglycémie. En rendant le foie plus sensible à l’insuline, on peut donc abaisser l’hyperglycémie qui caractérise le diabète sucré.

Les résultats de cette recherche seront publiés dans un prochain numéro du Journal of Ethnopharmacology.

Daniel Baril

Phytothérapie et contrôle de la qualité

«De 40 à 60 % des médicaments les plus courants proviennent d’extraits de plantes», affirme Pierre Haddad, qui donne l’exemple de l’aspirine, de la morphine ou du Taxol (utilisé dans la lutte contre le cancer). Pas étonnant que les plantes dites médicinales exercent un engouement sur ceux qui craignent une pharmacothérapie trop invasive.

Mais si une plante possède un élément actif, la même prudence que celle envers les médicaments est de mise. Afin de protéger le public et de le renseigner sur la teneur et les effets de ces plantes, la Direction des produits de santé naturels de Santé Canada vient d’adopter une réglementation qui obligera les producteurs à indiquer la proportion d’élément actif dans leurs produits, la posologie à suivre ainsi que la partie de la plante d’où provient l’extrait.

Pierre Haddad, qui a été consultant pour Santé Canada au chapitre de la recherche sur les plantes médicinales, s’en réjouit. «Les fabricants pourront aussi mentionner les effets bénéfiques sur la santé, allégués par la médecine traditionnelle ou démontrés par la médecine scientifique, ajoute-t-il. En cas de conflit entre ces deux sources, Santé Canada déterminera ce qui doit être affiché. C’est une meilleure garantie de qualité et de sécurité pour le consommateur.»

Un diabétique aurait beau, par exemple, se gaver d’extraits de bleuet, cela pourrait être sans grand effet si les extraits proviennent du fruit, selon ce que l’étude du professeur Haddad a montré. Même chose avec l’échinacée, si souvent recommandée, dont il existe plusieurs variétés et dont on ne sait rien sur l’élément actif.

Une nouvelle avenue s’ouvre donc aux chercheurs en pharmacologie. Pour répondre à ce nouveau besoin, une association constituée de chercheurs, de contrôleurs de la qualité et de producteurs a même été fondée l’an dernier: la Société canadienne de recherche sur les produits naturels, dont Pierre Haddad est vice-président. «Ce regroupement a pour but de soutenir des recherches rigoureuses sur les produits de santé naturels afin de veiller à ce que leur efficacité soit scientifiquement démontrée et qu’ils ne présentent pas de danger pour la santé», explique le chercheur.

Le congrès inaugural de la Société aura lieu à Montréal du 20 au 22 février.

D.B.

 

 



 
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