Édition du 26 janvier 2004 / volume 38, numéro 18
 
  Les jeunes conducteurs ont plus d’accidents après des cours de conduite
Pierro Hirsch remet en question les mesures de sécurité routière

Pour son doctorat en santé publique, Pierro Hirsch n’a pas eu peur de plonger dans le vif du sujet.

«Les leçons de conduite ne diminuent en rien le risque de collision chez les jeunes conducteurs», affirme un chercheur de l’Université, Pierro Hirsch, qui vient de publier les résultats d’une recherche dans le Journal of Safety Research. À son avis, les règlements sur la sécurité routière devraient tenir compte de cette réalité, ce qui réduirait la mortalité des jeunes sur nos routes.

Avec 93 conducteurs de 16 à 24 ans impliqués dans des accidents de la route pour 1000 titulaires de permis de conduire, les jeunes sont chaque année «surreprésentés», selon les mots de la Société de l’assurance automobile du Québec dans son dernier bilan routier (2002). Dans cette catégorie d’âge, on rapporte 179 décès et plus de 1422 blessures graves. Près d’une victime de la route sur quatre est donc un jeune.

Dès 1995, le chercheur avait réalisé que les recherches effectuées depuis 20 ans dans ce secteur parvenaient à un étonnant constat: aucune preuve scientifique ne démontre que les cours de conduite diminuent le risque de collision chez les conducteurs adolescents. Le fait d’avoir suivi de tels cours pouvait même augmenter ce risque. «En Ontario, rapporte l’article de M. Hirsch, les conducteurs âgés de 16 à 19 ans qui avaient suivi des cours de conduite avaient un taux de collision de 45 % supérieur à celui du groupe qui ne s’était pas inscrit aux cours.» D’autres études ont mené à un résultat similaire en Nouvelle-Écosse avec un taux de 27 % supérieur à la normale.

Ce phénomène s’explique par le fait que plusieurs provinces offrent aux apprentis conducteurs de 16 ans et plus une réduction du temps d’attente pour l’obtention de leur permis s’ils suivent des cours de conduite. «Pourquoi accélère-t-on le processus d’accès au permis pour un groupe fortement à risque? C’est ce que je ne m’explique pas», dit M. Hirsch.

Au Québec, la Société de l’assurance automobile offre une réduction de quatre mois. Selon l’étudiant au doctorat, cet élément incitatif devrait être abandonné dans les plus brefs délais. «Dans les cours de conduite, les jeunes apprennent la technique qui permet de tenir un volant. La prudence est une attitude, pas une habileté, et il est irréaliste de penser qu’on peut l’enseigner en 12 heures de leçons», commente-t-il.

Des mesures plus efficaces

Selon le chercheur, certaines mesures permettraient de diminuer le triste bilan routier. On pourrait exiger que les conducteurs débutants respectent un couvre-feu; on pourrait aussi leur interdire les routes où ils font de la vitesse; ou encore on pourrait leur fixer un nombre maximal de passagers. «Il est reconnu que le jeune conducteur qui transporte avec lui trois ou quatre amis est tenté d’aller plus vite.»

L’État a beaucoup fait en matière de sécurité routière, notamment en pénalisant sévèrement la consommation d’alcool. Les statistiques sont éloquentes à ce chapitre. Mais le chercheur rappelle que les accidents de la route sont la première cause de décès chez les jeunes.

Certes, il est difficile et coûteux de mener des recherches à long terme sur les jeunes conducteurs. Pierro Hirsch estime qu’il est impérieux de poursuivre ces travaux pour mieux connaître les caractéristiques de ces conducteurs. C’est peut-être là que l’État pourrait agir: en finançant la recherche universitaire dans ce secteur.

Ne tirez pas sur les écoles!

La politique de réduction du temps d’attente pour les aspirants conducteurs n’est pas propre au Canada. Partout en Amérique du Nord, sauf dans certains États américains, les organismes de réglementation incitent les nouveaux conducteurs à prendre des leçons de conduite. La réduction du temps d’attente varie alors de quelques semaines à plusieurs mois.

Pierro Hirsch précise qu’il ne veut pas jeter la pierre aux écoles de conduite ou à leurs employés, qui sont pour la plupart très compétents. Les cours de conduite ne peuvent à eux seuls changer l’état d’esprit d’un adolescent qui met en marche son premier bolide. La réduction des accidents avec blessés passe par l’analyse des comportements des conducteurs à risque. Pour mieux comprendre ces conducteurs, il faut connaître leur profil psychométrique, leur type de personnalité, etc.

L’ironie de la chose, c’est que M. Hirsch est lui-même copropriétaire d’une école de conduite recommandée par le club automobile CAA-Québec: la Ligue automobile de Montréal. «Quand on s’intéresse à un sujet de santé publique, dit-il, il faut laisser de côté ses intérêts personnels. La science, c’est la science…»

Malgré la nature de son gagne-pain, M. Hirsch estime que la société est beaucoup trop centrée sur la voiture. En favorisant l’accès rapide au permis de conduire, et donc à l’industrie du véhicule automobile, on agit de façon ouvertement productiviste. «Un automobiliste de plus, c’est un consommateur de plus», lance-t-il. De peur de paraître trop cynique, il ajoute: «Il vaut tout de même mieux que ce consommateur ne soit pas tué ou blessé sur la route durant son adolescence…»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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