Édition du 26 janvier 2004 / volume 38, numéro 18
 
  Les femmes enceintes ne doivent pas renoncer aux antidépresseurs
Selon Anick Bérard, le sevrage aurait plus d’effets secondaires

Anick Bérard est rentrée au pays après avoir travaillé à Boston et à New York.

Le 7 août 2001, une femme enceinte de huit mois, Kimberly Rogers, de Toronto, met fin à ses jours. Grâce à l’enquête du coroner, on apprendra que Mme Rogers souffrait d’anxiété et était reconnue pour ne pas se conformer aux prescriptions de son médecin. Depuis qu’elle était tombée enceinte, elle avait cessé de prendre son antidépresseur, l’amitryptiline.

Pour l’épidémiologiste Anick Bérard, titulaire de la chaire Médicament, grossesse et allaitement de l’Université, ce drame illustre un cas typique. «La plupart des femmes qui deviennent enceintes cessent de prendre leur antidépresseur, suivant le plus souvent la recommandation de leur médecin. Or, actuellement, aucune recherche ne démontre de liens entre la prise d’antidépresseurs et les malformations congénitales. Et les conséquences du sevrage sont parfois dramatiques.»

Au centre Info-médicaments en allaitement et grossesse (IMAGE), de l’hôpital Sainte-Justine, où une équipe de spécialistes répond annuellement à quelque 6000 demandes d’information sur la prise de médicaments durant la gestation et l’allaitement, une majorité de questions concernent les antidépresseurs. «Lorsqu’une femme tombe enceinte, elle ne doit pas cesser son traitement aux antidépresseurs, explique Mme Bérard. Malheureusement, la plupart des médecins de famille ne sont pas au courant de cette réalité.»

Mieux renseignés, les obstétriciens sont en général moins réticents à voir leurs patientes continuer de prendre leurs antidépresseurs. Mais selon Anick Bérard, «aucun médecin n’aime ça». C’est ce qui expliquerait, selon elle, que plus de 6 femmes sur 10 ne font que suivre la recommandation de leur médecin traitant lorsqu’elles suspendent leur traitement.

Seul bémol: ces indications ne valent pas pour les antidépresseurs de la classe des tricycliques, qui entraînent des effets secondaires indésirables. Quand une femme prend ce type de médicament, elle devrait donc en changer pour un antidépresseur de nouvelle génération, moins toxique.

Recherche en cours

L’épidémiologiste signale que les effets à long terme de l’utilisation des molécules psychotropes sur le développement ultérieur de l’enfant sont encore méconnus. Pour pouvoir affirmer un lien quelconque, il faudra mener des études à long terme avec une cohorte suffisante de mères et d’enfants. «Dans l’état actuel des connaissances, on mesure bien les conséquences de la suspension du traitement au cours de la grossesse. Si la femme enceinte redevient dépressive, elle risque de souffrir de problèmes de sommeil, d’anxiété, d’alimentation, voire de consommation d’alcool et de cigarettes. Et les répercussions néfastes sur le fœtus ou effets tératogènes de ces substances sont, eux, bien connus.»

La spécialiste a justement entrepris avec le professeur Richard Tremblay, directeur du Centre d’études sur le développement du jeune enfant, une recherche à long terme sur l’impact de différents médicaments pris en cours de grossesse sur les problèmes psychologiques et de comportement chez l’enfant. Mais en attendant d’obtenir des résultats probants, elle estime qu’il est de son devoir de renseigner les cliniciens sur les conséquences de la cessation des traitements pharmacologiques. Une présentation à ce sujet a été faite au congrès international de pharmaco-épidémiologie, tenu aux États-Unis en août dernier.

Le retour d’un cerveau

Mère de deux enfants, Anick Bérard est revenue au Québec après un séjour de plusieurs années chez nos voisins du Sud qui aurait pu se prolonger, n’eût été l’offre que lui ont faite l’Université de Montréal et l’hôpital Sainte-Justine. «Nous sommes très heureux d’être rentrés au pays», dit-elle, même si elle a dû reporter deux fois son arrivée, pour cause de chutes de neige…

Son poste de chercheuse au centre de recherche de l’établissement hospitalier et à titre de directrice du centre IMAGE lui permet de mettre sur pied plusieurs projets de recherche dans un domaine en plein essor. «Nous arrivons au terme d’une année fertile de développement, explique-t-elle. Nous avons notamment créé un logiciel qui nous permettra d’effectuer le suivi à long terme de toute l’information qui transite par le centre. Les projets de recherche sont nombreux.»

Après avoir obtenu son baccalauréat en statistique à l’Université Laval, puis une maîtrise en sciences cliniques à l’Université de Sherbrooke, Mme Bérard a fait un doctorat en épidémiologie et en biostatistique à l’Université McGill. Puis elle a obtenu un postdoctorat à l’Université Harvard. Au moment où l’Université de Montréal lui a offert un poste, elle était professeure au Albert Einstein College of Medicine de New York.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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