Édition du 26 janvier 2004 / volume 38, numéro 18
 
  Rock de laboratoire
Quatre étudiants au doctorat en biochimie lancent le CD Radicaux libres

«Arrivé au labo très tôt

J’avais un sous-clonage à faire pronto

Dans les tubes, j’ai mis de l’ADN et de l’eau

Du ReAct Buffer et mon

enzyme Eco

Et mon enzyme Eco

(Eco, Eco, Eco).»

Sur la scène du Petit Medley, le chanteur du groupe (n = 1), Alexis Vallée-Bélisle, fait rimer clonage et nouvel âge dans une chanson qui parle de savon bactéricide, de E. coli, de ligation et de digestion, tandis que le guitariste Mathieu Arcand, le bassiste Alexandre Marcil et le percussionniste Philippe Coulombe se donnent à fond. Les quatre gars ont la dégaine des plus authentiques rockers… si l’on fait exception de leur sarrau blanc.

Nous sommes au lancement de Radicaux libres, le disque qui donne le coup d’envoi à ce quatuor qui se définit comme le «premier groupe de rock scientifique francophone du monde». La particularité de (n = 1): chaque musicien est étudiant au doctorat. Les musiciens se sont rencontrés durant leurs études de premier cycle à l’Université de Montréal, à laquelle ils sont toujours rattachés, à l’exception d’Alexandre Marcil, qui s’est joint à l’équipe internationalement connue de Tom Hudson, de l’Université MGill.

La foule se lève, applaudit, en redemande. Certains airs sur un rythme endiablé de la chanson Eco R1 (voir les paroles en encadré), véritable hymne à l’enzyme de restriction bien connue des biochimistes, rappellent les Cowboys fringants et Jean Leloup, tout en conservant un style propre. Le violon, les harmonies vocales et les rifts de guitare sont particulièrement enlevants. Alexis Vallée-Bélisle, avec ses cheveux longs, sa barbe de trois jours et son regard pénétrant, semble tout droit sorti des années 70, alors que ses trois compères auraient pu jouer dans La vie, la vie.

«J’aurais voulu être une souris…»

Les répétitions du groupe ont lieu le jeudi soir dans un studio loué à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Rachel. C’est là que naissent les chansons comme Bleu, Jet set, Fais pas semblant ou Papier peint beige, qui parlent des préoccupations de ces jeunes dans la vingtaine: l’amour, la solitude, l’amitié. Et le laboratoire.

Dans la délirante Souris hétérozygote, le chanteur confie que sa vie sexuelle bat de l’aile. Méditatif devant l’animalerie, il voit s’ébattre des souris dont la seule raison de vivre consiste à s’accoupler. Les mâles manipulés en laboratoire («avec un allèle + avec un allèle – ») reçoivent dans leur cage tantôt une femelle «knock-out», tantôt une «transgénique». « J’aimerais ça être une souris hétérozygote / Avec une libido comme la mienne. / Ce serait vraiment le paradis. / Chaque soir, on t’amène de nouvelles femelles. / En plus, tu es logé et nourri. / Hétérozygote, hétérozygote, j’aimerais ça être une souris hétérozygote.»

«La musique de (n = 1) fait partie de ce qu’on appelle le rock indépendant, commente Martin Roussy, directeur musical à la radio des étudiants de l’Université, CISM. Mais à la différence des groupes amateurs qui nous envoient leur démo, leur premier disque sonne vraiment professionnel. Et de plus, c’est bon d’un bout à l’autre. C’est un album canon.»

Martin Roussy signale que les chansons de (n = 1) figurent déjà depuis quelques semaines au palmarès de la station. Récemment, Sabrina est passée de la 36e à la 27e position, ce qui constitue «une remontée spectaculaire».

Ce succès (en plus du fait que 250 des 300 exemplaires de Radicaux libres se sont vendus en un mois) a de quoi réjouir les musiciens, qui consacrent beaucoup d’énergie à (n = 1). Tiens, au fait, pourquoi ce nom étrange? «Bonne question», répond laconiquement le livret à l’intérieur du disque autoproduit.

Interrogé à ce sujet, Mathieu Arcand accepte de s’étendre là-dessus: «(n = 1) est un terme statistique où «n» représente le nombre d’individus dans l’échantillon utilisé pour tirer une conclusion. En somme, s’il n’y a qu’un seul individu employé pour obtenir des conclusions, celles-ci ne sont pas fiables. (n = 1) signifie qu’une expérience n’a jamais été répétée.»

Mais encore? «C’est une façon de dire: faites-nous confiance.» Bon.

Le quatuor dans son milieu naturel: à l’arrière-plan de gauche à droite, Mathieu Arcand, PhilippeCoulombe et Alexandre Marcil; devant, au violon, Alexis Vallée-Bélisle.

Science et création

«Les études, c’est bien, poursuit l’auteur et compositeur à l’origine de la formation du groupe, en 2001. Mais il nous fallait une activité artistique pour canaliser notre créativité. La musique, on l’avait en commun.»

On entend souvent dire que les chercheurs doivent démontrer beaucoup d’imagination pour concevoir de nouvelles hypothèses scientifiques, élaborer de nouvelles méthodes. «En tout cas, j’ai trouvé plus facile de produire mon premier disque que d’écrire mon premier article scientifique», commente en riant Alexis Vallée-Bélisle, qui aborde le dernier trimestre de sa scolarité de doctorat.

S’ils sont biochimistes à la base, les quatre musiciens poursuivent chacun de leur côté des études de doctorat dans une discipline connexe: Philippe Coulombe et Mathieu Arcand sont au laboratoire de pharmacologie de Sylvain Meloche; Alexandre Marcil étudie dans un laboratoire de protéomique et Alexis est en génomique fonctionnelle (avec Steven Michnick).

Tous ont remporté des prix d’excellence, mais c’est Philippe Coulombe qui a le plus de publications savantes à son actif. Il a son nom dans des revues comme Molecular Cell Biology, Journal of Cell Biology et Oncogene. Souvent, la répétition du jeudi doit se dérouler sans l’un des musiciens, retenu à un congrès au Nouveau-Mexique, à San Francisco ou à Vancouver…

Côté musical, Alexis et Mathieu ont suivi des cours particuliers de guitare et de violon; Philippe et Alexandre sont autodidactes.

Affaire de colocs

Le 10 octobre dernier, le groupe a connu sa première heure de gloire en gagnant la Guerre musicale 2003 de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAECUM), qui mettait aux prises huit groupes rock de l’UdeM. Leur prix, offert par le comité organisateur des fêtes du 125e anniversaire, consistait en une bourse de 1000 $ accompagnée d’une invitation à donner un spectacle à la mi-temps du match de football du 18 octobre des Carabins. «Nous avons joué devant une foule de 3000 spectateurs», dit Mathieu Arcand, qui a trouvé l’expérience excitante.

La participation financière de la FAECUM, à même le budget des activités parascolaires, a permis au groupe de connaître l’expérience du studio d’enregistrement. C’est le colocataire d’Alexis, Hendrick Hassert, un ingénieur du son, qui a pris les choses en main. De l’avis général, il a donné à l’album une facture professionnelle qui s’apprécie à la radio.

Les études d’abord

En raison de leur programme chargé, les étudiants n’avaient toujours pas tenu leur réunion de post-production en cette mi-janvier. Mais déjà on sent que l’avenir les préoccupe. «Nous avons assez de chansons pour produire un deuxième disque. Mais nous ne sommes pas nécessairement tous prêts à nous embarquer là-dedans. C’est à voir», explique Alexis Vallée-Bélisle.

Jusqu’où ira (n = 1)? Certainement jusqu’à la soutenance des thèses, répondent les musiciens âgés de 27 à 29 ans. Mais on craint le jour où le postdoctorat, à l’étranger, divisera la formation. Peu de gens le réalisent en dehors des cercles spécialisés, mais les études postdoctorales sont quasi incontournables pour quiconque vise une carrière de chercheur en sciences.

«Actuellement, nous apprécions le fait de pouvoir nous retrouver une fois par semaine dans un contexte musical, dit Alexandre Marcil. Mais notre priorité demeure les études. Si l’un d’entre nous avait l’ambition de faire de la musique un gagne-pain, cela ne marcherait pas.»

En attendant, les amateurs de rock scientifique sont invités à écouter des extraits de Radicaux libres sur le site du groupe: < www.mcb.mcgill.ca/~alex/(n=1)/menu.htm >.

Mais Forum tient à prévenir ses lecteurs: attention, ça déménage!

Mathieu-Robert Sauvé



 
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