Édition du 26 janvier 2004 / volume 38, numéro 18
 
  L’émancipation de la psychoéducation
À l’heure où un doctorat de recherche voit le jour en psychoéducation, les experts débattent de la voie à suivre

«C’est un moment historique», déclarait le directeur de l’École de psychoéducation, Claude Gagnon, au premier séminaire du tout nouveau doctorat en psychoéducation. Pour marquer l’événement, l’École organisait un débat, le 15 janvier, au cours duquel trois professeurs ont présenté des visions tantôt divergentes, tantôt convergentes sur les voies que devrait emprunter la psychoéducation afin d’assurer son essor.

Marc Le Blanc

Pour des raisons administratives, ce doctorat relève présentement du Département de psychologie, mais son contenu est entièrement sous la responsabilité de l’École de psychoéducation. «La création de ce programme découle de notre plan d’action de 2000 et l’hébergement au Département de psychologie n’est que temporaire, précise le directeur. Il s’agit d’un doctorat de recherche unique au Québec qui va permettre l’arrivée sur le marché du travail de professeurs entièrement formés dans cette discipline.»

Éviter l’atomisation

Actuellement, les professeurs en poste à l’École de psychoéducation possèdent presque tous une formation doctorale en psychologie. On peut d’ailleurs se demander, comme l’a fait le professeur Marc Le Blanc dans une intervention destinée à susciter le débat, si la psychoéducation est une discipline autonome ou si elle n’est qu’une sous-discipline de la psychologie.

À son avis, la psychoéducation est encore trop tributaire de la psychologie, dans laquelle elle puise l’essentiel de ses connaissances et de ses modèles d’intervention. «Pour qu’elle devienne davantage autonome, la multidisciplinarité serait plus avantageuse, soutient-il, la psychoéducation étant au carrefour de la psychopathologie, de la psychiatrie, de la criminologie, de la psychologie du développement et de l’éducation.»

Lui-même formé en sociologie et en criminologie, Marc Le Blanc considère que la multidisciplinarité est à rechercher surtout dans la formation personnelle des chercheurs plutôt que dans la composition des équipes. L’absence de consensus sur une théorie du développement et sur une théorie de l’action en psychoéducation lui fait craindre en effet une atomisation de la discipline. «Chaque professeur sera un spécialiste d’une forme d’inadaptation psychosociale, de certaines méthodes scientifiques et de quelques méthodes d’intervention. Ce processus d’atomisation est en marche et il faut l’arrêter.»

Selon son analyse, l’évolution de la psychoéducation pose aujourd’hui trois défis aux chercheurs: maintenir un équilibre entre la prévention et la réadaptation; établir un consensus sur les théories de base; et produire des outils d’optimalisation de la qualité des services professionnels.

Psychopathologie développementale

Frank Vitaro

Répliquant à son confrère, le professeur Frank Vitaro a pour sa part affirmé que la spécialisation en recherche était normale et inévitable. «La psychologie est elle aussi éclatée – pensons par exemple à la psychanalyse et à la psychologie biologique –, et aucun département de psychologie ne peut couvrir tous les domaines de cette discipline», a-t-il souligné.

À ses yeux, la psychoéducation poursuit globalement le même objet que la psychopathologie développementale, soit l’étude des difficultés d’adaptation psychosociales des individus, en puisant dans les connaissances de la psychologie, de la biologie, de la sociologie et de l’anthropologie.

Les deux disciplines se distinguent toutefois dans le fait que la psychopathologie, comme son nom l’indique, traîne le «carcan» de l’aspect désordre mental de l’inadaptation, alors que la psychoéducation a toujours cherché à élaborer des méthodes d’intervention préventive.

Une science à part entière

Gilles Gendreau

Pour Gilles Gendreau, l’un des fondateurs de la psychoéducation, il ne fait pas de doute que cette discipline constitue une science à part entière. Rappelant son intérêt de la première heure pour l’éducation auprès des délinquants, celui qui a été un des artisans de Boscoville s’est toujours perçu et défini comme un éducateur et non comme un psychologue.

«La psychoéducation n’est pas un champ de la psychologie, pas plus que la psychologie n’est un champ de la philosophie même si elle a déjà été sous le chapeau de cette discipline, a-t-il affirmé. La psychoéducation et la psychologie sont des cousines plutôt que des sœurs.»

Selon le professeur retraité, la méthode scientifique a toujours fait partie des approches de base en psychoéducation. Si un fossé s’est creusé entre praticiens et chercheurs à la fin des années 80, à la suite des travaux statistiques qui ont semé la consternation à propos de la réadaptation, les recherches empiriques ont plus tard stimulé l’avancement de la profession.

«Il ne faut pas laisser tomber ces acquis et une discipline autonome sur le plan professionnel doit posséder son doctorat.»

L’avenir de la discipline passe par la collaboration entre les chercheurs et les cliniciens afin de mettre en place un corpus de connaissances qui lui soit propre, a conclu Gilles Gendreau.

Ce débat s’est tenu dans le cadre du 125e anniversaire de l’Université.

Daniel Baril



 
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