Édition du 2 février 2004 / volume 38, numéro 19
 
  Transmettre des émotions à l’écran au moyen de la musique
La musique et l’image sont étroitement liées, explique Philip Tagg dans Ten Little Title Tunes

Philip Tagg

Vous entendez une pièce de musique romantique et voyez immédiatement une jeune femme aux cheveux longs, vêtue d’une robe ample et qui déambule dans un pré. Ou vous écoutez un air un peu plus jazz et imaginez une scène tout droit sortie d’un film de gangsters. Ces associations ne sont pas que le fruit du hasard.

Voilà le sujet sur lequel se penche Philip Tagg, professeur de musicologie à la Faculté de musique et spécialiste de la musique populaire, dans son livre Ten Little Title Tunes, qui vient d’être publié. L’ouvrage décrit et analyse les associations faites par des centaines de répondants à l’écoute de 10 extraits de musique joués sans accompagnement visuel, soit des thèmes musicaux de séries télévisées ou des morceaux de l’illustration musicale de films.

«Les réponses des participants nous ont permis de confirmer qu’à l’intérieur d’une sphère culturelle donnée – dans ce cas-ci, la culture anglo-américaine de la fin du 20e siècle – tous les auditeurs, en entendant une pièce de musique, vont y associer sensiblement le même genre d’images», dit M. Tagg.

«Nous avons obtenu des résultats parfois étonnants où l’image associée correspondait véritablement à l’extrait. Par exemple, en entendant la séquence musicale issue du film A Streetcar Named Desire, un répondant a dit qu’il imaginait Humphrey Bogart sous un ventilateur et portant une camisole. Il y a effectivement une scène identique dans le film, sauf qu’il s’agit de Marlon Brando !»

Ces associations sont clairement liées aux émotions que la musique suscite chez l’auditeur, précise M. Tagg. Lorsque nous entendons une pièce, nous nous remémorons la situation dans laquelle nous nous trouvions lorsque nous avons entendu ce morceau pour la première fois ou encore la mélodie nous fait penser à une personne que nous avons déjà aimée.

«Quand nous regardons un film, c’est généralement la musique qui va dicter ce que nous ressentons par rapport à une situation ou à un personnage. S’il y a une scène de bataille, c’est la musique qui nous indiquera qui sont les bons et qui sont les méchants.»

Aller au-delà de l’analyse traditionnelle pour trouver le sens de la musique

Ten Little Title Tunes, de Philip Tagg et Bob Clarida, est publié par Mass Media Music Scholars’ Press.*

Si Philip Tagg a entrepris il y a près de 25 ans le travail titanesque qui a conduit à la publication de Ten Little Title Tunes, c’était pour mener en quelque sorte une réforme de l’enseignement de l’analyse de la musique. Les cours d’analyse dans les établissements d’enseignement ne traitaient alors que de la forme et de la structure, dit-il, et très peu de musicologues abordaient la signification de la musique.

«On peut comparer la déconstruction de la musique au démontage d’une voiture. Ce qui compte surtout, ce n’est pas tant d’être capable de reconnaître chaque pièce du moteur que de savoir à quoi sert chacune des pièces.»

Selon Philip Tagg, l’analyse sémiotique de la musique peut contribuer aux études sociologiques ou anthropologiques. Les réponses des participants dans son ouvrage ont nettement démontré, par exemple, que certains types de musique sont associés aux femmes et d’autres aux hommes.

«Les répondants n’imaginaient jamais d’hommes lorsqu’ils entendaient des extraits qu’ils associaient à la tristesse, à la vulnérabilité ou à la beauté. Et les pièces qui suscitaient des impressions de criminalité, de force physique n’étaient jamais liées aux femmes», souligne l’auteur.

M. Tagg estime que transmettre aux jeunes compositeurs cette sensibilité quant au sens de la musique permet de les rendre beaucoup plus conscients de ce qu’ils veulent faire ou ne pas faire lorsqu’ils écrivent.

Sommité internationale à l’UdeM

Ce n’est pas d’hier que Philip Tagg prône cette forme d’analyse de la musique. Il a enseigné la musicologie à l’Université de Göteborg, en Suède, pendant 20 ans, puis à l’Université de Liverpool, en Grande-Bretagne, de 1991 à 2002. Il termine sa première année à titre de professeur titulaire à l’UdeM.

En recrutant Philip Tagg, la Faculté de musique, déjà réputée pour l’excellence de son enseignement en musicologie, peut ainsi donner de l’ampleur à un champ de recherche récent: celui de la musique populaire.

«La Faculté est privilégiée d’avoir pu s’adjoindre un musicologue de la trempe de Philip Tagg pour enrichir les perspectives d’un secteur en pleine ébullition, déclare le doyen de la Faculté de musique, Réjean Poirier. Le professeur Tagg a édifié la musicologie de la musique populaire pour la porter au rang des grands objets d’étude, et au-delà de l’objet ses méthodes d’analyse offrent une vision enrichie de la musique.»

Julie Fortier

Collaboration spéciale

* On peut commander un exemplaire du livre en ligne au  www.mediamusicstudies.net/mmmsp/index.html ou sur le site de Philip Tagg: www.tagg.org.



 
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