Édition du 9 février 2004 / volume 38, numéro 20
 
  Autochtones et Québécois: la méfiance règne
Les échanges interculturels constituent le meilleur moyen de lutte contre les préjugés

Doreen Picard

Entre le mythe du bon sauvage vivant en harmonie avec la nature et l’image de l’Indien «profiteur du système» se livrant à la contrebande de cigarettes, il semble qu’il reste bien peu de place, dans l’imaginaire québécois, pour une vision plus nuancée des réalités autochtones. Mais la méfiance et l’incompréhension existent aussi du côté des Premières Nations. C’est du moins l’impression qui se dégageait d’une table ronde organisée le 3 février par la Chaire en relations ethniques de l’UdeM et le Centre d’études ethniques des universités montréalaises à l’occasion de la Semaine interculturelle.

Sur le thème «Réalités autochtones: lutte au racisme et enjeux éducatifs», cette table ronde réunissait Pierre Lepage, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui travaille depuis 20 ans à la sensibilisation des Québécois aux réalités autochtones, Doreen Picard, qui s’occupe des programmes destinés aux jeunes à l’association Femmes autochtones du

Michael Lewis

Québec, ainsi que Marie-Andrée Courval et Michael Lewis, enseignants au collège Durocher, sur la rive sud de Montréal. Ces derniers ont raconté l’expérience qu’ils ont vécue l’année dernière, au cours d’une activité d’échanges qu’ils avaient organisée avec des élèves du village inuit d’Inukjuak, situé sur la baie d’Hudson. Une cinquantaine d’étudiants, dont plusieurs en sciences de l’éducation, étaient venus écouter les conférenciers.

Deux nationalismes

Pierre Lepage

« Depuis les événements d’Oka, à l’été 1990, les relations entre les peuples québécois et autochtone ont été marquées par une atmosphère de confrontation entre deux nationalismes», a souligné Pierre Lepage. Celle-ci s’est d’ailleurs manifestée au cours de la période de questions qui a suivi la conférence: l’ex-député souverainiste Pierre de Bellefeuille et l’ex-juge Marc Brière, deux vétérans de la scène politique québécoise qui s’étaient joints à l’assemblée des étudiants, ont questionné les conférenciers sur le peu d’empressement des autochtones à apprendre le français. «Pour les autochtones, le français est souvent une troisième langue, après leur langue maternelle et l’anglais. Combien de Québécois parlent trois langues? Combien de Québécois qui vivent aux abords des réserves ont appris une langue autochtone?» a demandé une étudiante, visiblement choquée. «Certainement très peu», lui a concédé Marc Brière.

Selon Pierre Lepage, c’est dans ce contexte de confrontation qu’est apparue, durant la dernière décennie, la conception de l’Indien privilégié ne payant ni impôts, ni traitements d’orthodontie, ni comptes d’électricité. En

Marie-Andrée Courval

1994, un sondage SOM révélait que 52 % des Québécois francophones étaient d’avis que les conditions de vie des autochtones dans les réserves étaient aussi bonnes, sinon meilleures, que les leurs. Or, tous les indicateurs sociaux (le revenu, la scolarité, la santé, le taux de chômage, etc.) convergent plutôt pour décrire la pauvreté et le faible niveau de vie des autochtones. Doreen Picard, originaire de la communauté innue de Betsiamites, a d’ailleurs témoigné des nombreuses difficultés liées à la crise identitaire vécue par les jeunes dans les réserves: drogues, violence et décrochage touchent de nombreux adolescents. «Les jeunes qui sortent des réserves afin de poursuivre leurs études sont pour leur part confrontés à de sérieux problèmes d’adaptation», a-t-elle ajouté, insistant sur l’immense effort que cela demande à certains, surtout ceux dont les communautés sont très isolées.

Super Mohawk

Pour illustrer les préjugés tenaces que les Québécois entretiennent à l’égard des Premières Nations, Pierre Lepage a présenté un extrait vidéo des Bleu Poudre, un groupe d’humoristes des années 90. À l’image de Super Mario, le populaire personnage de jeu vidéo, Super Mohawk, un petit Indien à plume, accumule des points en fraudant le système et en se moquant des autorités. «Cette image de l’autochtone est très proche de celle que se font les jeunes Québécois», a affirmé le représentant de la Commission des droits de la personne, qui pilote, conjointement avec l’Institut culturel montagnais, un programme éducatif, Rencontre Québécois-Autochtones, qui a permis de joindre plus de 25 000 élèves dans les écoles du Québec.

Cette représentation caricaturale, alimentée par les récents événements de Kanesatake, côtoie pourtant une image d’Épinal encore bien vivante, si l’on en croit Marie-Andrée Courval, qui enseigne la géographie au collège Durocher. «Pendant les séances d’information axées sur la connaissance de l’autre que nous avions organisées en vue de notre programme d’échanges avec de jeunes Inuits, nous avons constaté que nos élèves avaient une conception très folklorique des autochtones et qu’ils entretenaient à leur égard des préjugés plutôt positifs. Ils les voyaient comme un peuple vivant de la chasse et de la pêche, très près de la nature.»

En fait, c’est surtout chez les jeunes Inuits qu’elle a senti une grande méfiance à l’endroit des Québécois, perçus comme des Blancs oppresseurs. Ceux qui s’étaient laissé convaincre de participer à l’échange ont fait preuve d’un tel désintérêt pour les activités qu’on avait planifiées à leur intention qu’on a dû annuler les sorties prévues au Centre des sciences, au Jardin botanique et au Biodôme! «Vivant dans une petite communauté isolée de 1000 habitants, ils étaient descendus dans le Sud pour voir la ville et les grands magasins: il a bien fallu respecter leurs désirs», a fait valoir l’enseignante.

Si les premiers contacts, compliqués par la barrière linguistique, se sont révélés ardus entre jeunes Québécois et Inuits, quelques jours de fréquentation ont quand même permis de briser la glace. Une vidéo en témoigne: construction d’un inukshuk sur le terrain de l’école, démonstrations de chants de gorge par les jeunes filles inuites et de jeux de force et d’endurance par les garçons ont ravi les élèves québécois. Ces derniers ont par la suite pris le chemin du Grand Nord, où ils ont pêché, chassé et dormi sur la banquise en compagnie de leurs nouveaux amis. À l’issue de la rencontre, certains des jeunes Inuits ont affirmé leur volonté de choisir dorénavant le français, plutôt que l’anglais, comme langue seconde. Comme quoi les voyages forment la jeunesse et rapprochent les communautés.

Marie-Claude Bourdon



 
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