Édition du 9 février 2004 / volume 38, numéro 20
 
  Sur les traces des légumineuses primitives
La National Science Foundation finance les travaux d’Anne Bruneau

Anne Bruneau exhibe des fruits récoltés en Guyane en 1996 et appartenant à la famille du cacao.

Malgré l’importance économique des légumineuses, un pan entier de cette grande famille de plantes reste méconnu. Mais le mystère touche peut-être à sa fin, car Anne Bruneau, professeure à l’Institut de recherche en biologie végétale, vient d’obtenir des fonds pour terminer la cueillette d’échantillons et procéder à une classification plus rigoureuse. Le tout se déroule dans un contexte où la taxonomie, une science longtemps négligée, reprend de la vigueur.

La famille des légumineuses compte environ 18 000 espèces. Elle se divise en trois sous-familles. La première, celle des papilionoïdés, comporte les plantes cultivées que nous connaissons bien comme les pois, les haricots et le soya. Dans la deuxième, celle des mimosoïdés, se rangent des arbres comme les acacias ou le mimosa. La troisième, enfin, celle des caesalpinidés, comprend quelque 2000 espèces de grands arbres tropicaux encore mal connues. C’est sur ces arbres que travaille Anne Bruneau depuis près de 10 ans.

Du grand arbre tropical au petit pois, il y a une marge. Pourtant, les fossiles végétaux confirment que les caesalpinidés, apparus il y a environ 100 millions d’années, sont les ancêtres de toutes les légumineuses. Certains de ces arbres sont aussi capables de fixer l’azote dans le sol, une caractéristique qui fait une partie de l’intérêt agricole des légumineuses et dont l’origine demeure méconnue.

Les caesalpinidés poussent dans les forêts humides d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie. Dans le passé, les chercheurs ont travaillé indépendamment, les Européens en Afrique et en Asie, les Américains en Amérique du Sud. Résultat, des espèces sont mal classifiées ou pas classifiées du tout et certains genres ont été mis dans des groupes à part de manière erronée. Un vrai fouillis!

300 000 $… US

C’est pour reprendre cette classification sur des bases plus rigoureuses que la National Science Foundation a accordé 300 000 $ à Anne Bruneau et à ses deux collègues, un paléobotaniste américain de l’Université George Washington et un taxonomiste anglais spécialiste des légumineuses. L’apport de la chercheuse montréalaise réside principalement dans son expertise en biologie moléculaire.

L’approche taxonomique traditionnelle, qui repose sur la comparaison de la morphologie des feuilles, des fleurs et des fruits, convient mal aux caesalpinidés. «Ce sont des arbres qui ne fleurissent pas beaucoup et pas de manière synchronisée d’une espèce à l’autre, explique Anne Bruneau. On ne peut donc pas planifier la récolte pour obtenir des fleurs et des fruits, surtout qu’il est difficile de les recueillir à 30 ou 40 mètres du sol, là où ils poussent. Les données moléculaires nous sont utiles parce qu’elles nous permettent de travailler à partir des feuilles seulement.»

Le travail doit durer jusqu’en 2007. Bien que des chercheurs hollandais aient constitué une collection de spécimens représentatifs, Anne Bruneau et ses collègues entendent retourner sur le terrain pour la compléter et identifier de nouvelles espèces. Les trois chercheurs se partageront donc des voyages d’un mois vers des destinations exotiques: Madagascar, le Brésil, l’Asie, l’Afrique de l’Est, le Venezuela... Travailler dans la forêt humide n’est pas de tout repos.

Le déboisement massif des forêts tropicales rend urgent ce travail de collecte et de classification. «En raison de leur grande taille, ces arbres sont fréquemment abattus, déplore la chercheuse. Nous n’aurons plus longtemps la chance de les répertorier et de mieux comprendre l’origine des légumineuses.»

Le moment est aussi propice parce que les découvertes en génétique et en biologie moléculaire ont relancé la taxonomie, une discipline qui était moribonde un peu partout, en particulier au Canada, où il manque une génération entière de chercheurs. «Et il existe aujourd’hui de nouvelles approches d’analyse qui nous permettent d’utiliser les données morphologiques et moléculaires pour retracer les relations évolutives et les limites des espèces de manière plus objective», explique Anne Bruneau.

«La taxonomie est un domaine assez bizarre, poursuit-elle. Dès qu’on découvre une nouvelle façon de travailler, comme dans le cas des chromosomes dans les années 50 ou avec la génétique de nos jours, on croit avoir trouvé la solution définitive à tous les problèmes, mais cet espoir est toujours déçu. Toutefois, l’utilisation de toutes les différentes données morphologiques, moléculaires et fossiles permet d’établir des concordances plus solides ou de mieux voir les cas litigieux. Il devient plus facile de tester nos hypothèses.»

Philippe Gauthier

Collaboration spéciale



 
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