Édition du 9 février 2004 / volume 38, numéro 20
 
  Le voile islamique: entre coercition et acceptation
Le Centre de recherche en éthique débat du rapport Stasi

Le projet d’interdiction du port du voile islamique dans les écoles de France (rapport Stasi) ne laisse personne indifférent, même de ce côté-ci de l’Atlantique. À un point tel que le Centre de recherche en éthique de l’UdeM (CREUM) y a consacré un débat de plus de deux heures le 30 janvier.

En introduction, le directeur du CREUM, Daniel Weinstock, professeur au Département de philosophie, a mentionné que l’approche du rapport Stasi (voir l’encadré) méritait d’être mise à l’essai et que seule la France pouvait se permettre de le faire.

Assurer l’ordre public

Luc Tremblay

Des six participants, seuls Luc Tremblay, professeur à la Faculté de droit, et Dave Anctil, étudiant au doctorat en philosophie (UdeM et Paris-I), ont souscrit à l’approche et à l’analyse du rapport Stasi. «Si les faits allégués dans le rapport sont vrais, la solution – qui vise la justice sociale, l’intégration des communautés culturelles et la neutralité de l’État – est justifiée», a affirmé le professeur Tremblay.

Le rapport fait état des menaces et de la violence exercées dans certaines familles ou par des gangs de quartier contre les jeunes musulmanes afin de les obliger à porter le voile. Ces tensions se répercutent sur l’école et en perturbent le fonctionnement. Même s’ils reconnaissent que le port du voile peut aussi être volontaire, il y a manifestement péril en la demeure, selon les auteurs du rapport, et il faut mettre «un cran d’arrêt», selon l’expression du sociologue Alain Touraine.

De plus, pour celles qui ne le portent pas, le voile signifie que la femme est la seule responsable du désir de l’homme, ce qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes. La question du voile islamique n’apparaît donc plus comme une question de liberté de religion mais plutôt comme une question d’ordre public: l’État doit prendre les moyens pour répondre à la détresse de ces jeunes filles et faire en sorte que l’école soit un lieu d’émancipation.

Pour Luc Tremblay et Dave Anctil, le rapport Stasi défend bien les principes républicains devant le risque de fragmentation du lien social que représentent les groupes politico-religieux extrémistes combattant les valeurs démocratiques et laïques. Dans ce contexte, ses recommandations leur semblent appropriées.

Femmes voilées et volontaires

Solange Lefebvre

Les quatre autres intervenants ont plutôt fait ressortir les paradoxes du rapport ou les risques inhérents à ses recommandations.

Andrew Lister, chercheur postdoctoral au CREUM, est d’avis que l’interdiction du voile islamique constitue un abus du principe d’intégration culturelle. «Elle restreint la liberté d’expression et force les jeunes musulmanes à choisir entre la religion et la République. Il y a un risque de renforcement de l’exclusion.»

L’étudiant a de plus souligné l’inégalité de traitement à l’égard de la religion catholique, qui bénéficie d’un concordat en Alsace-Moselle, où les écoles publiques sont confessionnelles.

«Je ne veux pas me prononcer sur une altérité que je ne connais pas», a pour sa part déclaré Solange Lefebvre, professeure à la Faculté de théologie et de sciences des religions, avant de s’en remettre à l’opinion de deux sociologues qui, eux, se sont dits contre le rapport Stasi. Ajoutant trois anecdotes tirées de ses contacts avec des musulmanes, la professeure a présenté le voile islamique comme un élément de coquetterie qui n’est pas en soi un signe d’exclusion ou de soumission. «Les faits empiriques montrent une diversité de rapports avec le foulard», a-t-elle mentionné.

Barbara Thériault, professeure au Département de sociologie, a noté l’existence en Europe, et notamment en Allemagne, d’un courant d’intellectuels complaisants à l’égard du voile islamique. L’attitude caractérise surtout les milieux de gauche, où l’on hésite à aborder les questions religieuses en raison d’un préjugé favorable envers les minorités défavorisées. Selon les dires de sociologues, les femmes interrogées ne porteraient pas le voile par obligation mais pour marquer leur identité et leur foi.

On pourrait toutefois objecter que celles qui ont le courage de dénoncer l’oppression ne portent plus le voile et ne figurent sans doute pas dans les données des sociologues. Les études empiriques ne peuvent par ailleurs pas ignorer les cris d’alarme lancés par des musulmanes qui réclament l’interdiction du voile, comme l’anthropologue Chahdortt Djavann, auteure de Bas les voiles!, ou Fadela Amara, dont le livre Ni putes ni soumises a donné naissance au mouvement du même nom.

Acquérir son autonomie

Dave Anctil

Dans la même veine que les trois participants précédents, Leah Bassel, chercheuse au Refugee Studies Center, de l’Université d’Oxford, met en doute l’ostracisme que subiraient les femmes voilées. «Des femmes de 16 à 25 ans, qui veulent être françaises et musulmanes, choisissent le voile qui devient dès lors un mode d’intégration entre la famille et la société française, affirme-t-elle. Plutôt que de s’en prendre au voile, il faudrait se demander comment donner à ces femmes des outils pour qu’elles puissent forger leur destin.»

Répondant à cette question, Luc Tremblay a fait valoir que le rapport Stasi était justement un outil pour permettre aux femmes d’acquérir leur autonomie. «Au paternalisme des parents, je préfère le paternalisme de l’État parce qu’il repose sur la raison plutôt que sur la religion», a-t-il déclaré.

Pour le professeur, les éléments rapportés par les autres participants sont vrais mais non pertinents au débat. «Les exemples de port volontaire ne sont pas l’enjeu du rapport Stasi, qui n’interdit pas le voile en public, a-t-il rappelé. Le problème, c’est le port non volontaire.»

Au Québec

 Luc Tremblay est par ailleurs le seul à s’être prononcé sur la situation québécoise. À son avis, une solution comme celle du rapport Stasi ne serait pas pertinente parce que la situation n’est pas la même ici. «Notre postulat de base est la liberté de religion, érigée comme un droit et qui oblige l’État à des accommodements raisonnables. La liberté de religion pose ainsi un vice fondamental parce qu’elle ne s’applique pas comme les autres droits. Par ailleurs, les faits sur lesquels est fondé le rapport Stasi ne sont pas présents au Québec.»

Faudrait-il donc attendre que des musulmanes non voilées soient victimes de menaces et de violence pour établir les balises de la citoyenneté et de la laïcité? «Notre notion de citoyenneté n’est pas la même qu’en France non plus et je ne vois pas de raison actuellement d’interdire le voile islamique», a estimé le professeur.

Daniel Baril



 
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