Édition du 16 février 2004 / volume 38, numéro 21
 
  Une salamandre rare à protéger
Covey Hill est l’unique site de la salamandre des montagnes au Canada

François-Joseph Lapointe

Le mont Covey Hill, en bordure de la frontière américaine au sud de Saint-Antoine-Abbé, est l’unique lieu au Canada où l’on trouve la salamandre sombre des montagnes. Et ce petit amphibien figure sur la liste des espèces menacées au pays.

Pour protéger l’animal repéré au Québec en 1988, la Société de la faune et des parcs du Québec a adopté un plan de rétablissement auquel participent François-Joseph Lapointe, professeur au Département de sciences biologiques, et Anaïs Boutin, étudiante à la maîtrise. La salamandre sombre des montagnes est une des plus petites salamandres qui soit et ne mesure que 5 à 8 cm de long. Par comparaison, la salamandre pourpre, beaucoup plus répandue, peut atteindre 25 cm.

«Nous en sommes à l’étape préliminaire du plan de redressement, qui consiste à caractériser l’habitat, indique le professeur Lapointe. Les seules données sur cette espèce proviennent des États-Unis, où le lieu de vie de l’animal n’est pas le même. On ne connaît rien sur celui-ci au Québec si ce n’est que la salamandre vit sous les roches en bordure des cours d’eau et dans les tourbières au sommet des montagnes.»

Deux espèces?

Ci-dessus, une larve de salamandre sombre des montagnes. À droite, un spécimen adulte de salamandre sombre du nord.

Plus fréquente dans les Adirondacks et les Appalaches américaines, cette petite salamandre partage son territoire avec une proche cousine, la salamandre sombre du nord. Il faut être spécialiste pour réussir à distinguer les deux espèces et les salamandres elles-mêmes n’y parviennent pas toujours puisqu’elles s’accouplent entre elles et produisent des hybrides.

C’est du moins ce qu’on croit. L’un des objectifs de la recherche d’Anaïs Boutin est précisément de déterminer, par analyse génétique, si l’on est bel et bien en présence de deux espèces ou s’il s’agit d’une simple variabilité entre les individus de la même espèce.

Les deux salamandres sont d’un brun sombre et ont une ligne noire sur les côtés. Cette ligne est sinueuse chez la salamandre du nord et plus rectiligne chez celle des montagnes. Cette dernière possède en outre deux petites lignes blanches sous les yeux. Mais certains individus, qu’on croit être des hybrides, ont des caractéristiques des deux espèces.

Dans une étude de repérage menée l’été dernier à Covey Hill, l’étudiante et son directeur ont recensé 389 parcelles de terrain, une parcelle représentant 25 m de rivage de cours d’eau. Ils y ont dénombré 1626 salamandres de toutes espèces, dont 324 salamandres du nord, 66 des montagnes et 41 hybrides.

Comme la salamandre sombre ne se déplace pas sur de grandes distances – son territoire ne mesure pas plus que 1,7 m2 –, les chercheurs sont certains de ne pas avoir compté plusieurs fois le même individu.

«Il faudra déterminer si les habitats des deux espèces de salamandres sombres ont les mêmes caractéristiques, souligne François-Joseph Lapointe. Il nous faut aussi connaître leurs migrations, leurs prédateurs et leurs règles de reproduction.»

Les tests génétiques pour déterminer s’il s’agit d’espèces différentes seront effectués à partir d’échantillons bien faciles à prélever. On sait que les salamandres possèdent la prodigieuse faculté de sectionner leur queue dès qu’on la saisit, et ceci, sans aucun traumatisme. Le membre se régénère spontanément et sans cicatrice. Une propriété bien commode pour qui travaille avec des sujets animaux!

Anaïs Boutin

Selon le professeur Lapointe, les salamandres constituent des espèces précieuses pour étudier la spéciation puisqu’elles sont interfécondes entre espèces rapprochées, mais cessent de l’être entre individus d’espèces plus éloignées. Les salamandres se prêtent donc à l’hybridation, mais le critère de la reproduction féconde habituellement utilisé pour déterminer l’appartenance à une espèce devient difficilement applicable dans leur cas. «On ne sait plus où mettre la frontière», signale le biologiste.

Comme les autres amphibiens qui occupent une niche écologique couvrant divers habitats, les salamandres seraient aussi de bons indicateurs de la qualité de l’environnement. Mais comme ce sont les malformations qui indiquent la présence de polluants, les salamandres, contrairement aux grenouilles, ne sont pas assez nombreuses pour servir à cette fin.

Daniel Baril

 



 
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