Édition du 16 février 2004 / volume 38, numéro 21
 
  Capsule science
Le sentiment amoureux est-il le propre de l’humain?

Les oiseaux sont reconnus pour leurs unions qui durent parfois toute la vie. Certaines espèces de primates, comme les gibbons et les tamarins, forment aussi des couples de longue durée. Chez le tamarin, le mâle joue un rôle essentiel dans les soins aux petits, qu’il porte et contribue à nourrir. Mais il s’agit d’espèces solitaires: chaque couple vit isolé sur son territoire, qu’il défend jalousement des intrus. Chez nos plus proches cousins, les chimpanzés, des animaux sociaux comme nous, avec lesquels nous partageons 98 % de notre patrimoine génétique, rien de tel: la promiscuité la plus totale règne entre mâles et femelles. Même si les mâles cherchent toujours à contrôler un maximum de partenaires sexuelles, les mœurs sont légères et les femelles copulent avec plusieurs mâles sans que s’établisse un lien préférentiel entre individus des deux sexes.

«Le lien amoureux à long terme est vraiment une des caractéristiques distinctives de l’être humain», affirme Bernard Chapais, primatologue et professeur d’anthropologie physique à l’Université. Selon lui, la famille est fondée sur l’établissement de ce lien. «Il ne faut pas oublier que c’est ce lien préférentiel entre le mâle et la femelle qui permet au mâle de reconnaître sa paternité.» Chez les chimpanzés, une telle reconnaissance n’existe pas: les mâles ne s’occupent pas de leurs petits, qu’ils ne sauraient pas distinguer des autres.

«Si vous m’aviez demandé si les chimpanzés connaissent l’amour, je vous aurais dit qu’ils connaissent l’amour maternel, dit Bernard Chapais. Une mère reconnaît ses petits et établit des relations à long terme avec eux.» Les mères chimpanzés privilégient systématiquement leurs propres rejetons aux dépens des autres, même une fois qu’ils sont devenus adultes. Mais on n’observe pas, entre les deux sexes, des relations de proximité se prolongeant ainsi sur plusieurs années: les fréquentations ne durent pas plus longtemps que la période d’œstrus, ou de chaleur, des femelles. Le fait que l’œstrus n’existe pas chez les êtres humains – autrement dit, la femme est (en principe…) sexuellement disponible tout au long de l’année – serait d’ailleurs une adaptation favorable au développement du sentiment amoureux: celui qui veut monopoliser l’attention de sa belle – et, selon la logique évolutionniste, son pouvoir de reproduction – a avantage à ne pas trop s’éloigner.

«Pourquoi le couple est-il apparu?» Dans une perspective darwinienne, «l’hypothèse classique est celle de l’augmentation du fardeau parental», répond Bernard Chapais. Selon cette hypothèse, l’accroissement de la taille du cerveau, chez l’être humain, entraîne la naissance de petits de plus en plus immatures et démunis: ceux dont les pères prennent soin auront plus de chances de survivre et donc de répandre leurs gènes, d’où l’apparition du lien amoureux durable, qui rend possible la reconnaissance de la paternité. Mais, selon Bernard Chapais, «ce lien privilégié existait peut-être déjà, en raison d’un autre facteur, celui de la protection, qui précéderait le facteur du fardeau parental.» En échange de la protection offerte à une ou à quelques femelles, le mâle s’assurerait d’une relation de proximité avec autant de compagnes. Chez les gorilles, par exemple, le risque d’infanticide par un mâle étranger est élevé et c’est ce qui pousse les femelles à rechercher la protection du mâle à dos argenté. L’établissement d’un lien à long terme fondé sur l’échange de services – protection contre services sexuels et éventuellement partage des ressources alimentaires – pourrait constituer un terrain propice à la reconnaissance de la paternité et à l’accroissement du fardeau parental. «En tout cas, il s’agit d’un lien de coopération. Et cela est vrai pour toutes les espèces qui forment des couples, que ce soit le gibbon, le tamarin ou l’être humain.» Ou les oiseaux…

Marie-Claude Bourdon



 
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