Édition du 23 février 2004 / volume 38, numéro 22
 
  Le Service des livres rares acquiert 19 documents du 19e siècle
Geneviève Bazin participe à une vente aux enchères

Geneviève Bazin a connu l’excitation d’un encan d’œuvres d’art.

Le 30 mars 1838, le greffier du Conseil exécutif du Bas-Canada, Herman W. Ryland, reçoit une dépêche en provenance de la capitale britannique. Il signe le document et le date dans le coin supérieur droit.

Cette dépêche concerne le rapport de son patron, lord Durham, gouverneur de la colonie, qui suggère l’assimilation des Canadiens français à la communauté anglaise, une idée que partage le haut fonctionnaire de 79 ans. Même s’il parle couramment le français et qu’il entretient des rapports polis avec ses concitoyens de Beauport, il ne compte aucun ami intime parmi les coloniaux. «Tandis que les nationalistes canadiens considéraient le Bas-Canada comme un rameau de la culture française, Ryland le voyait comme un avant-poste de la Grande-Bretagne, note le Dictionnaire biographique du Canada. […] La rébellion de 1837-1838, qu’il avait entrevue avec anxiété, avait des racines plus profondes qu’il ne le croyait; aussi les politiques qu’il préconisa contribuèrent-elles largement à déclencher la révolte.»

Sur le document acquis le mois dernier par le Service des livres rares et des collections spéciales, on peut voir la calligraphie encore alerte de M. Ryland, même si la maladie dont il souffre l’emportera quelques mois plus tard. «Ce document est précieux, car il s’ajoute à nos collections sur la Rébellion et concerne l’un de ses acteurs majeurs», signale Geneviève Bazin, responsable de ce secteur au Service des bibliothèques. Avec deux collections d’importance léguées à l’Université en 1906 par le juge George Baby et en 1972 par l’homme d’affaires Louis Melzack, le Service des livres rares et des collections spéciales est un des cinq pôles universitaires au pays pour l’étude des documents de l’histoire canadienne. Ces deux collections rassemblent plus de 7200 documents et valent à elles seules aujourd’hui plusieurs millions de dollars. Ces «canadianas» font une large place aux événements de 1837 et 1838.

Passionnée de 1837

The English Bijou Almanach for 1837 est le plus petit livre imprimé de l’époque. Il contient un portrait gravé de la reine Adélaïde.

Le document signé par Herman W. Ryland a bien failli échapper à l’UdeM. Tout comme 18 autres documents de valeur semblable qui viennent d’être intégrés aux collections du quatrième étage du Pavillon Samuel-Bronfman. Pour ces pièces uniques, les rayons à température et à atmosphère contrôlées de l’université sur la montagne marquent en effet l’aboutissement d’un périple rocambolesque. En un siècle et demi, les documents sont notamment passés par les imprimeries canadiennes et britanniques, les salons du Nouveau Monde, les Bahamas et la maison d’une actrice canadienne qui fut l’intime d’Orson Welles et de Peter Ustinov.

Sans la vigilance et l’œil expert de Mme Bazin, qui avait pris place parmi les acheteurs à l’Hôtel des encans de Montréal les 26 et 27 janvier, ces documents ne seraient jamais parvenus jusqu’à nous. «Nous connaissions l’existence de la collection Rosanna Seaborn depuis longtemps, signale Mme Bazin. Dès le mois de novembre 2003, je m’étais rendue chez Suzanne Cloutier avec ma collègue, la bibliothécaire Hélène Simoneau, afin d’examiner la plus grande partie des 1200 pièces de cette collection.»

En effet, Rosanna Seaborn, une femme de 93 ans passionnée par la Rébellion, a l’intention de léguer les pièces de sa collection à une université. Après avoir passé 40 ans aux Bahamas, cette globe-trotter, toujours active dans le domaine cinématographique, confie sa collection à son amie montréalaise Suzanne Cloutier. Celle-ci devient en quelque sorte l’agente de Mme Seaborn. Mmes Bazin et Cloutier sont donc en négociation pour l’acquisition du fonds de Rosanna Seaborn lorsque, coup de théâtre, Mme Cloutier décède subitement le 3 décembre.

De retour d’un voyage en Inde, Geneviève Bazin apprend avec stupéfaction que Mme Seaborn non seulement n’a plus l’intention de léguer sa collection à l’Université, mais qu’elle la met en vente… «C’est pour éviter de tout perdre que nous avons voulu être présents à l’encan. Nous avions une longueur d’avance sur les autres acheteurs, car j’avais déjà examiné la collection», raconte l’historienne de l’art.

Occasion historique

Grâce à Mireille Janeau, directrice du développement des collections et du Service des acquisitions, Mme Bazin a pu sauver la mise. «Il s’agissait d’une occasion historique, et nous ne voulions pas la manquer», commente Mme Janeau, qui est fière d’avoir vu l’UdeM prendre place au milieu des représentants des archives nationales du Canada et du Québec, de la Bibliothèque nationale du Québec et de la Bibliothèque nationale du Canada. «Notre présence démontre que, dans la mesure de nos moyens, nous ne laisserons pas passer les bonnes occasions», poursuit-elle.

C’était la première fois qu’un représentant de l’Université de Montréal attirait l’attention du commissaire-priseur afin d’acquérir des ouvrages destinés à enrichir ses collections. Mais les acheteuses ont bien caché leur enthousiasme. Chaque pièce acquise a été obtenue à un prix inférieur à son évaluation. Par exemple, le document autographié par Herman W. Ryland a été payé 1000 $, soit 250 $ de moins que sa valeur marchande. Une autre pièce étonnante est cet almanach minuscule datant de 1837. Payé 1200 $, ce volume évalué à 1500 $ a un intérêt anecdotique. Il illustrera l’étendue des volumes que possède le Service des livres rares et des collections spéciales. Certains livres gigantesques nécessitent des tablettes de la largeur d’une table de billard alors que celui-ci est plus petit qu’une phalangette!

Le montant total des transactions s’élève à un peu plus de 15 000 $. Par comparaison, le budget global des acquisitions pour l’ensemble du Service des bibliothèques est de 9 M$.

Mmes Janeau et Bazin affirment avoir vécu au Ritz-Carlton des moments inoubliables. Les prochaines semaines ne le seront pas moins puisque le quatrième étage du Pavillon Samuel-Bronfman a subi des rénovations majeures. De plus, le 26 février, à l’occasion des fêtes du 125e, Geneviève Bazin donnera une conférence aux Belles Soirées de la Faculté de l’éducation permanente intitulée «Livres rares et anciens: des collections à découvrir». L’inauguration des nouveaux locaux est aussi prévue.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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