Édition du 23 février 2004 / volume 38, numéro 22
 
  Une sociologue publie au Seuil L’empire cybernétique
La thèse de Céline Lafontaine est encensée par Philippe Breton et Jean-Claude Guillebaud

Céline Lafontaine

«La cybernétique est la première pensée typiquement américaine à avoir traversé l’océan», dit Céline Lafontaine, auteure de L’empire cybernétique : des machines à penser à la pensée machine, qui vient de paraître au Seuil (en librairie dès le 3 mars). Pour la nouvelle professeure du Département de sociologie, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle, car cet empire «porte en lui les tendances totalitaires qu’historiquement il devait combattre», comme elle l’écrit dans sa conclusion.

Très critique à l’endroit du progrès technologique, Mme Lafontaine rappelle que l’informatique et la bombe nucléaire ont les mêmes géniteurs: des chercheurs scientifiques. Quand on pense que la moitié du budget fédéral américain en matière de «recherche et développement» servira à des fins militaires, on est tenté de lui donner raison. «Avec son idéal de contrôle et de gestion informationnelle, écrit-elle encore, l’empire cybernétique nous aurait-il finalement confisqué l’avenir? Quand le futur paraît dicté par les lois du marché et de l’adaptabilité technologique, on est en droit de se poser la question. D’autant plus que cette programmation du futur s’alimente de la machine de guerre, celle-là même qui a vu naître la cybernétique.»

Tiré en grande partie de sa thèse de doctorat déposée à l’Université Paris-I (Panthéon-Sorbonne), et augmenté d’un chapitre sur le posthumanisme, l’ouvrage qui paraît ces jours-ci est louangé en préface par un des penseurs de l’heure en sociologie de la communication, Philippe Breton (qui au demeurant a été son directeur de thèse). «Son approche renouvelle radicalement la critique qui avait été portée jusque-là de la cybernétique et de son influence sur les sociétés modernes, écrit l’auteur de L’utopie de la communication. Son livre, poursuit-il, pour peu qu’on le lise les yeux grands ouverts, nous renseigne sur la connivence qu’il y a entre cet empire de la pensée et celui d’autres empires, qui avancent dans le monde précédés par leurs armées, pour l’instant victorieuses.»

Un autre intellectuel français de renom, Jean-Claude Guillebaud, souligne sur plusieurs pages le travail de Mme Lafontaine.

Combler une lacune

Revenue au Québec en juillet dernier pour la rentrée d’automne à titre de professeure adjointe au Département de sociologie, Céline Lafontaine, 33 ans, a été recrutée pour son expertise en sociologie de la communication. Elle est en réalité bien plus que cela. Spécialiste de l’épistémologie des sciences sociales, elle a travaillé sur les arts technologiques et la cyberculture avant de se tourner, plus récemment, vers la posthumanité. Avant de présenter ses idées sur la cybernétique, elle dit avoir passé un temps fou à lire tout ce qui s’était publié sur le sujet, ce qui l’a le plus souvent fait fulminer intérieurement. «J’ai passé des années à lire les livres de personnes avec lesquelles j’étais en total désaccord», relate-t-elle. Mais elle ajoute qu’il fallait bien passer par là pour attaquer à son tour des mythes comme celui du cyborg, de la «pensée machine».

La critique, estime-t-elle, avait semblé échapper au monde de la technoscience. Elle attribue son succès précoce à la position d’une Québécoise dans les cercles intellectuels parisiens: à la fois neutre, interdisciplinaire et sensible aux courants européen et américain.

À l’Université, son arrivée marque également le coup. Au Département de sociologie, personne avant elle ne s’intéressait sérieusement aux sciences et aux technologies. Au point où elle a déjà créé un cours fort apprécié des étudiants: Technosciences, culture et société. Il y est question de cyberculture et des nouveaux rapports humains-machine, mais aussi des enjeux éthiques soulevés par les biotechnologies et les nouvelles technologies de la reproduction (clonage, sélection embryonnaire), comme le précise le plan de cours.

Fait intéressant, l’évaluation laisse une place importante à l’actualité. C’est un cliché de dire que les technologies avancent à grands pas; l’étudiant doit donc en tenir compte en lisant les chroniques scientifiques dans les médias nationaux et internationaux et les magazines de vulgarisation scientifique tels Québec Science, Découvrir, La Recherche, etc. Il doit tenter de voir les «implications sociologiques» des découvertes qui se déroulent en temps réel dans le vrai monde.

Mme Lafontaine se sent «très bien accueillie» dans sa nouvelle université, après avoir bien connu l’UQAM et la Sorbonne. Avec son premier livre, qui figure actuellement dans les vitrines des librairies françaises et qui arrivera sous peu au Québec, on peut dire qu’elle fait une entrée remarquée dans le monde universitaire.

Mathieu-Robert Sauvé

Céline Lafontaine, L’empire cybernétique: des machines à penser à la pensée machine, Paris, Éditions du Seuil, 2004, 240 p., 37,95 $.



 
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