Édition du 23 février 2004 / volume 38, numéro 22
 
  Guérisseurs cris et chercheurs s’unissent contre le diabète
Pierre Haddad veut mettre à profit les connaissances traditionnelles

Pierre Haddad

Au sein des communautés autochtones, la reconnaissance des propriétés thérapeutiques de la nature n’a rien de nouveau. Depuis toujours, les aînés et les guérisseurs indigènes donnent des plantes aux malades qui souffrent des maux les plus divers. Seraient-ils les gardiens de secrets que la médecine moderne n’a pas encore percés?

C’est à ce type de question que s’intéresse Pierre Haddad, professeur au Département de pharmacologie de la Faculté de médecine. Depuis près de cinq ans, ce spécialiste du diabète court les congrès où l’on discute d’ethnopharmacologie, soit l’utilisation de remèdes traditionnels par les populations autochtones. En 1998, il a entrepris une collaboration avec des herboristes du Maroc pour mieux connaître les plantes maghrébines utilisées dans le traitement du diabète. Grâce à ce projet, il compte éclaircir les mystères de la nigelle (aussi appelée cumin noir), une plante employée depuis des milliers d’années pour restaurer l’équilibre des organes du corps humain.

La collaboration avec le Maroc ne fait que commencer, mais déjà, le professeur Haddad étend ses antennes. Au mois d’octobre 2003, le chercheur a obtenu 900 000 $ de l’Institut de la santé des Autochtones des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour étudier les pratiques médicinales des guérisseurs et tenter d’améliorer la santé des Cris du nord du Québec, particulièrement en ce qui a trait au diabète. La somme sera répartie sur trois ans.

«Je rêvais de travailler avec les populations indigènes du Québec, déclare M. Haddad. Ces communautés sont aux prises avec de sérieux problèmes de diabète. Dans la population crie, la prévalence de la maladie est passée de 4,1 à 12,5 % entre 1989 et 2002. Les approches de la médecine moderne, qui préconise une meilleure alimentation et la pratique d’activités physiques, ne sont pas très populaires au sein de ces communautés. Les Cris ont plutôt recours à des plantes qu’ils trouvent dans la forêt boréale. Je veux savoir à quel point ces remèdes sont efficaces et sécuritaires, et s’il est possible de bonifier les façons de faire traditionnelles avec celles de la médecine moderne.»

L’équipe dirigée par le professeur Haddad comprend cinq spécialistes: Alain Cuerrier, un botaniste responsable du Jardin des Premières Nations au Jardin botanique de Montréal; Tim Johns, un nutritionniste et ethnobotaniste de l’Université McGill; John Arnason, un phytochimiste de l’Université d’Ottawa; le Dr Marc Prentki, expert en diabète au CHUM; et Manon Dugas, coordonnatrice au Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James. En plus de recevoir l’appui des IRSC, le projet sera subventionné par la Direction des produits de santé naturels, une nouvelle agence relevant de Santé Canada et dont la mission est de donner accès à la population canadienne à des produits de santé naturels sécuritaires, efficaces et de qualité.

Dans un premier temps, le botaniste et l’ethnobotaniste encadreront des étudiants qui iront sur le terrain pour rencontrer les aînés et les guérisseurs. «Nous voulons connaître les plantes qui sont généralement recommandées lorsque les malades souffrent de symptômes propres au diabète: urination fréquente, soif, perte de sensation aux extrémités, fatigue chronique, troubles de la vision, etc. Grâce à des méthodes ethnobotaniques bien définies, nous allons désigner les plantes qui présentent le plus haut potentiel antidiabétique.»

Ce sera alors au phytochimiste d’entrer en jeu: celui-ci préparera des extraits normalisés des plantes découvertes par la première équipe. Pour terminer, le laboratoire du professeur Haddad, en collaboration étroite avec celui du professeur Prentki, testera ces extraits de plantes sur des modèles cellulaires et animaux, probablement des rats.

Si les essais s’avèrent concluants, l’équipe du professeur Haddad tentera d’élaborer des préparations de plantes normalisées, sécuritaires et efficaces. «Notre but n’est pas de supplanter le savoir des guérisseurs, bien au contraire. Nous allons travailler en harmonie avec la culture crie. Nous voulons simplement nous assurer que les plantes sont aussi efficaces que possible. C’est la conjonction des savoirs traditionnels et de la science moderne qui est intéressante dans ce projet.»

Les extraits des plantes qu’utilisent les guérisseurs cris pour traiter le diabète pourraient-ils éventuellement se retrouver sur les tablettes de nos pharmacies? «Si l’on découvre des substances actives intéressantes, c’est possible. Mais les communautés autochtones craignent que les compagnies pharmaceutiques usurpent leur savoir. La propriété intellectuelle aura une importance clé dans ce projet et nous ferons tout pour la respecter. Les Cris seront peut-être ouverts à partager leur patrimoine avec le reste du Québec et du Canada, mais une chose est certaine: ce partage devra se faire dans le respect le plus total de leur culture.»

Dominique Forget

Collaboration spéciale



 
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