Édition du 23 février 2004 / volume 38, numéro 22
 
  Femmes, sciences et «construit social»
Claudie Solar apporte de nouvelles données sur la situation des femmes en mathématiques, en sciences et en technologies

Au Québec, les filles réussissent aussi bien que les garçons en sciences et en mathématiques, selon une étude internationale du ministère de l’Éducation. Pourtant, elles sont moins nombreuses que les garçons à choisir des carrières scientifiques.

«L’éventail de choix de carrière que se permettent les femmes est restreint par rapport à ce qu’il pourrait être», déplore Claudie Solar, professeure au Département de psychopédagogie et d’andragogie de la Faculté des sciences de l’éducation.

Si le fait n’est pas nouveau, la professeure a voulu y jeter un nouvel éclairage en analysant le rapport qualitatif et quantitatif établi par les élèves du collégial à l’égard des technologies et des sciences. Dans un ouvrage1 récent qu’elle a codirigé avec Louise Lafortune, de l’UQTR, Claudie Solar présente les travaux et réflexions de 22 chercheuses sur la relation avec les sciences et les technologies effectués à partir de recherches empiriques, de séminaires-ateliers et d’expériences pédagogiques.

L’ordinateur selon le sexe

Une recherche menée par les professeures Solar et Lafortune auprès de collégiens en sciences de la nature montre que les garçons utilisent généralement l’ordinateur depuis plus longtemps que les filles: 69,9 % d’entre eux s’en servent depuis cinq ans et plus, contre 56,1 % des filles.

Claudie Solar y voit un biais parental favorisant l’accès de l’ordinateur aux garçons. Cet accès facilité serait, à son avis, l’une des raisons expliquant que près de 60 % des garçons disent avoir appris par eux-mêmes à utiliser l’ordinateur, contre 35 % des filles.

L’étude montre par ailleurs qu’il n’y a pas de différence selon le sexe quant à l’usage des logiciels, d’Internet, du courriel, du clavardage ou des forums. Par contre, une différence significative apparaît pour ce qui est des jeux: 47,3 % des garçons disent se servir très souvent de l’ordinateur pour jouer, contre seulement 2,8 % des filles.

Claudie Solar a aussi voulu savoir, de façon rétrospective, quel usage ces jeunes avaient fait du traitement de texte lorsqu’ils étaient au secondaire. Plus de 61 % des filles l’avaient employé à cette fin assez ou très souvent contre 46,8 % des garçons. La combinaison de cette donnée avec celle sur le jeu amène Mme Solar à citer ce qu’elle reconnaît comme une caricature: «Les jeunes filles travaillent tandis que les jeunes hommes s’amusent.»

Il ne fait aucun doute dans l’esprit de la professeure que traitement de texte signifie secrétariat. Elle y voit une socialisation qui semble jouer dans les deux sens: on lit en effet dans le volume des deux professeures que l’usage du traitement de texte montre que «la socialisation différenciée selon le sexe se concrétise au secondaire dans des fonctions de secrétariat [pour les filles]»; plus loin, on nous dit que, «par le biais du traitement de texte, les filles sont socialisées pour se diriger vers des emplois féminins».

Quant aux attitudes à l’égard de l’ordinateur, environ 67 % des garçons disent aimer beaucoup s’en servir, contre 34 % des filles.

Le «construit social»

Le portrait qui ressort de cette enquête amène la chercheuse à conclure que les différences entre les hommes et les femmes à l’égard de l’informatique relèvent «d’un rapport socialement construit par le jeu d’où découlent des attitudes de confiance, un sentiment de contrôle et du plaisir à utiliser les outils technologiques».

Ce rapport ludique avec les technologies est un des éléments qui conditionneraient la perception des carrières scientifiques. «Les hommes continuent de percevoir le travail en technologies comme un jeu à l’âge adulte», lit-on dans un chapitre collectif.

Mais si le monde des sciences n’attire pas les femmes, on peut se demander pourquoi ce manque d’attrait n’aurait d’effet que sur le choix de carrière et pas sur le rendement scolaire en sciences. «Le conditionnement social fait que les filles ont plus besoin d’être scolarisées pour réussir socialement, répond la chercheuse. Les statistiques montrent qu’un décrocheur du secondaire restera inactif pendant six ans alors qu’une décrocheuse – qui abandonne bien souvent parce qu’elle est enceinte – sera en dehors du marché du travail ou du milieu scolaire pendant 26 ans!»

Et pourquoi ne sont-elles pas attirées par les fonctions ludiques de l’ordinateur? Parce que les jeux sont faits pour les garçons. «Les garçons sont séduits par ces jeux, comme les jeux de guerre, parce qu’ils correspondent à ce qu’on leur a dit qu’un homme doit être.»

Pour Claudie Solar, ce clivage intersexe n’est aucunement le reflet de lointaines habiletés biopsychologiques propres à l’un et l’autre sexe et modelées par la culture. «Si le phénomène relevait de la nature plutôt que de la culture, ces différences ainsi que l’absence des femmes dans les domaines scientifiques seraient universelles, croit-elle. Ce n’est pas le cas au Portugal, où la majorité des mathématiciens dans les universités sont des femmes, ni en Inde, où la majorité des ingénieurs sont aussi des femmes.»

Le volume nous laisse par contre sur notre faim quant à ces deux faits, qui ne font l’objet d’aucun développement.

Au-delà des données objectives, on sent nettement la thèse de la tabula rasa partagée par le collectif et qui est de considérer les aptitudes, comportements et habiletés cognitives comme totalement conditionnés, voire produits, par l’environnement. Donner, par exemple, les mêmes jeux aux garçons et aux filles (une recommandation des auteures) abolirait beaucoup de différences intersexes, soutient Claudie Solar.

Des solutions

Mis à part cette thèse du «construit social» qui revient parfois comme un leitmotiv, l’objectif du volume demeure de susciter l’intérêt des femmes pour les sciences et les auteures présentent des exemples de réussites intéressants: des outils pédagogiques conçus pour éveiller l’intérêt scientifique (OPUS, apprentissage par problèmes), des analyses de cas de mères ingénieures, des réussites comme le projet des Scientifines ou encore l’appropriation d’Internet par un groupe de femmes dans le projet Autonomie et diffusion de l’information sur Internet.

Un document vidéo, Maths, sciences et technos, pourquoi pas?, est également disponible en complément du volume pour animer des débats. On y présente des discussions entre les auteures, entrecoupées de points de vue de cégépiens, ainsi que des solutions pour la relève.

Daniel Baril



 
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