Édition du 23 février 2004 / volume 38, numéro 22
 
  Avoir l’œstrogène à l’œil
La réaction électrique de l’œil est de 20 % plus élevée chez la femme que chez l’homme

Les cliniciens en optométrie et en ophtalmologie devront tenir compte des fluctuations du taux d’œstrogène, souligne Christian Casanova.

L’influence des hormones est parfois curieuse et insoupçonnée. Si l’on connaît bien le rôle de l’œstrogène dans le bon fonctionnement du système reproducteur chez la femme, on vient de découvrir que cette hormone modifie également la fonction rétinienne de l’œil. C’est une donnée importante dont les cliniciens doivent désormais tenir compte puisque le taux d’œstrogène varie selon le cycle menstruel et qu’il modifie les électrorétinogrammes (ERG).

«L’électrorétinographie mesure l’amplitude de la réaction bioélectrique de l’œil à la suite d’un stimulus lumineux, explique Christian Casanova, professeur à l’École d’optométrie. Cette technique est utilisée en optométrie et en ophtalmologie pour observer la qualité des tissus de l’œil. Elle permet de repérer certaines pathologies comme le glaucome ou des maladies dégénératives et de suivre leur évolution.»

Les chercheurs savaient déjà que l’amplitude des ondes a et b de l’ERG était, en tout temps, d’environ 20 % supérieure chez les femmes sans en connaître vraiment la raison. La découverte, il y a quelques années, de récepteurs d’œstrogène sur la cornée, l’iris, la rétine et dans les ganglions de l’œil a mis le professeur Casanova sur la piste de la cause hormonale. La présence de tels récepteurs dans ces tissus n’étonne pas outre mesure le chercheur, qui estime qu’il doit s’en trouver un peu partout dans l’organisme.

Sur la piste de l’œstrogène

L’une de ses étudiantes au doctorat, Julie Brûlé, codirigée par Pierre Lachapelle, de l’Université McGill, a entrepris de vérifier l’hypothèse hormonale. Si les hormones sexuelles sont en cause, les ERG devraient varier selon la fluctuation du taux d’hormones.

La recherche a dans un premier temps confirmé l’écart général de 20 % entre l’ERG des femmes et celui des hommes. En outre, des mesures effectuées à différentes périodes du cycle ovarien ont montré une variation considérable dans l’amplitude des ondes de l’ERG selon les phases du cycle menstruel. Chez les mêmes femmes, l’étudiante a noté un écart de 20 % entre les derniers jours de la phase folliculaire et la période lutéale (ou sécrétoire).

L’étude a été reprise par un groupe d’étudiantes de l’École d’optométrie et du Département de sciences biologiques – Narimene Kebache-Chanez, Marie-Lou Garon et Mariane Rufiange – durant un stage d’initiation à la recherche. Cette fois, on a pris des mesures de fertilité sur les participantes afin de déterminer avec exactitude le jour de l’ovulation et d’effectuer des ERG ce jour même.

«C’est précisément au moment de l’ovulation que l’amplitude des ERG est la plus forte, affirme Christian Casanova. Il y a donc une corrélation entre l’émission d’hormones sexuelles et les variations de l’ERG, mais nous ne savions pas encore quelle hormone était en cause.»

Pour le savoir, Silvia Pollifrone et Sandrine Joly, deux doctorantes du Département de sciences biologiques, ont mené une étude du même type chez des rates. Comme chez les humains, il est apparu que l’amplitude de l’ERG était à son plus haut au moment de l’ovulation. Par ailleurs, l’ERG de rates ovariectomisées auxquelles on a injecté une dose d’œstrogène montre une augmentation d’amplitude de l’ordre de 11 % immédiatement après l’injection. L’effet influe davantage sur la fonction scotopique de l’œil, c’est-à-dire la vision dans la pénombre, que sur la fonction photopique en éclairage diurne.

«Il s’agit de la première étude qui démontre un effet de l’œstrogène sur la fonction rétinienne», affirme le professeur Casanova, tout en reconnaissant que d’autres facteurs semblent aussi être en cause. Le chercheur compte poursuivre ces travaux prochainement en effectuant des relevés d’ERG sur de jeunes filles non pubères et sur des femmes ménopausées.

Importance clinique

Cette découverte est majeure pour les cliniciens. Tel qu’il est mentionné en début d’article, l’ERG est un des outils utilisés pour mesurer la qualité des tissus de l’œil. Une diminution d’amplitude est habituellement considérée comme un signe de l’aggravation d’une pathologie. «Il faudra donc, en électrorétinographie, tenir compte du cycle menstruel des patientes dans l’interprétation des données, car une variation naturelle de 20 % due au cycle ovarien, c’est énorme. Pour être comparables, les mesures successives devront être prises à la même période du cycle.»

On peut par ailleurs se demander si cette différence observée dans l’ERG des femmes et des hommes confère à celles-ci un avantage quelconque ou s’il ne s’agit que d’un simple effet de leur plus haut taux d’œstrogène. «Les femmes bénéficient d’un avantage puisque l’œstrogène est connu pour avoir un effet protecteur contre le glaucome et la cataracte», répond Christian Casanova.

Mais la femme verrait-elle mieux venir le mâle lorsqu’elle est en période d’ovulation? Des études citées dans la thèse de Julie Brûlé auraient montré que l’acuité visuelle de la femme serait effectivement meilleure à ce moment-là. La différence est toutefois faible puisque aucune femme ne rapporte spontanément ce fait. Cette différence d’acuité n’a par ailleurs pas été mise en lien avec le taux d’œstrogène ni avec l’amplitude élevée des ERG, précise le professeur Casanova.

Daniel Baril



 
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