Édition du 8 mars 2004 / volume 38, numéro 23
 
  Entendre ce qu’on voit
Les aveugles «recyclent» leur cortex visuel pour d’autres tâches

Sous la supervision de Maryse Lassonde, Olivier Collignon s’apprête à appliquer une stimulation magnétique transcrânienne à une volontaire qui teste ses performances sur l’appareil de substitution de la vision par l’audition.

Ariane (nom fictif) est aveugle de naissance. Assise au poste de travail du Centre de neuropsychologie et cognition (CENEC) du Département de psychologie, elle parvient sans difficulté à reproduire des formes simples qui sont affichées devant elle.

Comme plusieurs autres sujets non voyants, Ariane participe à une expérience de Maryse Lassonde sur la plasticité du cerveau chez les aveugles. Le casque d’écoute qu’elle porte retransmet en sons les lignes captées par une minuscule caméra fixée à ses lunettes. Elle balaie le plan de gauche à droite et de bas en haut par un mouvement de tête, et le son change de mode et de tonalité lorsque la caméra passe sur l’image. L’aveugle est ainsi en mesure d’«entendre ce qu’on voit» et de déduire quelle est la forme affichée devant lui, donc de «voir» ce qu’il entend.

Cet appareil, appelé «prothèse de substitution de la vision par l’audition» (PSVA), a été mis au point à l’Université catholique de Louvain et apporté à l’UdeM par Olivier Collignon dans le cadre d’une recherche doctorale effectuée dans les deux établissements.

On n’en est pas encore au point où un aveugle pourrait se déplacer avec une telle caméra fixée à son chapeau, mais à la Faculté de médecine de Louvain on travaille à la perception d’objets en trois dimensions à l’aide de ce procédé qui, à plus ou moins long terme, pourrait permettre d’améliorer grandement l’interaction d’un aveugle avec son environnement.

Réutilisation du cortex visuel

Au Département de psychologie de l’UdeM, on s’est intéressé à cet appareil afin de déterminer si le cortex visuel, en principe inutilisé, est sollicité à des fins autres que la vision chez les aveugles. «Nous savions, grâce aux expériences effectuées en Belgique, que le cortex visuel était activé chez les aveugles dans des tâches de la PSVA – qui sont des tâches auditives –, mais nous voulions savoir si ce cortex jouait un rôle essentiel dans l’exécution de ces consignes», précise Maryse Lassonde.

Le casque d'écoute retransmet en sons les lignes captées par une minuscule caméra fixée aux lunettes d'un sujet.

Pour ce faire, il fallait désactiver le cortex visuel. La professeure a donc combiné l’utilisation de la PSVA avec la technologie de stimulation magnétique transcrânienne. Cette technologie permet de désactiver temporairement et sans séquelle une région précise du cerveau à l’aide d’un courant électromagnétique. C’est précisément l’expertise acquise dans ce domaine par Maryse Lassonde et Franco Lepore, directeur du CENEC, qui a amené Olivier Collignon à l’Université de Montréal.

L’expérience mise au point par les chercheurs nécessite, dans un premier temps, d’obtenir une image par résonance magnétique de la boîte crânienne de chaque sujet afin de localiser précisément le cortex visuel, ce qui a été fait à l’hôpital Notre-Dame du CHUM. À l’aide de cette carte du cerveau, l’opérateur est en mesure d’appliquer la stimulation magnétique au bon endroit et d’observer s’il se produit des modifications de performance dans la réalisation des tâches de la PSVA.

L’expérience a été menée avec des non-voyants et avec des voyants à qui l’on avait bandé les yeux afin que leur cortex visuel ne soit pas stimulé. Chez les voyants, la désactivation du cortex n’a entraîné aucun changement dans la performance, ce qui montre qu’ils ne recourent pas à cette zone pour décoder les «formes sonores» produites par la PSVA.

Par contre, la performance des aveugles a diminué de 30 % après la désactivation de leur cortex visuel. «Ceci nous indique que les non-voyants se servent de ce cortex à d’autres fins», affirme Maryse Lassonde.

L’expérience montre en fait que le cerveau ne laisse rien d’inutilisé et qu’il récupère les zones «inutiles» pour maximiser le rendement des autres fonctions. C’est ce qui pourrait expliquer, par exemple, l’hypersensibilité de l’ouïe et du toucher chez les non-voyants.

Le Fonds FCI, les Instituts de recherche en santé du Canada et la Chaire de recherche du Canada en neuropsychologie contribuent à cette étude, qui se poursuit au CENEC. Olivier Collignon est pour sa part boursier de la Communauté francophone de Belgique et de l’UdeM.

Daniel Baril



 
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