Édition du 8 mars 2004 / volume 38, numéro 23
 
  Une exposition sous le signe de la nostalgie
Le musée Louis-Philippe-Audet présente Beauchemin et l’éducation

À droite, Marcel Boisvert feuillette un catéchisme en langue crie (datant de 1895) en compagnie de Guy Frenette, p.-d.g. de Beauchemin.

Au départ, l’exposition devait être entièrement consacrée aux manuels scolaires édités aux 19e et 20e siècles par la maison Beauchemin, le plus ancien éditeur canadien-français. Mais après quelques semaines passées à fouiller dans l’entrepôt de l’éditeur, à Laval, le concepteur de l’exposition, Marcel Boisvert, a décidé d’inclure l’ensemble de la production de la maison. «Beauchemin a exercé une influence énorme et joué un rôle très important dans l’éducation populaire et la conservation de la culture francophone en Amérique, non seulement avec ses manuels scolaires, mais aussi avec les livres de récompense et des publications comme l’Almanach du peuple», expliquait-il à l’inauguration de l’exposition Beauchemin et l’éducation, le 19 février, au Musée de l’éducation Louis-Philippe-Audet. L’exposition a été conçue en collaboration avec Nadine Naoum, directrice du marketing chez Beauchemin.

Sur les présentoirs, à côté des grammaires enfantines, des livres de cantiques, des ouvrages d’histoire du Canada et des petits catéchismes, on verra donc des pages de l’almanach de 1932, qui font la promotion de l’allaitement maternel et indiquent les heures d’ouverture des cliniques de maladies vénériennes de la province, des exemplaires du Canada ecclésiastique, une revue distribuée dans les communautés religieuses au début du siècle et qui annonce vin de messe et crucifix, et plusieurs des fameux livres de récompense que les inspecteurs remettaient au cours des distributions de prix dans les écoles.

Premier éditeur francophone

Fondée en 1842, «la maison Beauchemin est la preuve qu’une entreprise florissante peut naître même quand tout tombe à l’eau», a souligné le vice-doyen aux études de premier cycle de la Faculté des sciences de l’éducation, Jean-Pierre Charland, rappelant ainsi les origines rocambolesques de la maison. Cette année-là, Charles-Odilon Beauchemin, un jeune relieur de 19 ans parti de Nicolet sur une goélette chargée de livres qu’il destine à ses compatriotes installés en Nouvelle-Angleterre, voit tous ses ouvrages tomber dans l’eau au cours d’une escale dans le port de Montréal. Il loue un hangar au coin de la rue Saint-Denis pour réparer ses volumes endommagés avant de repartir. Mais les curieux qui viennent observer son travail repartent avec un livre, puis un autre, de sorte que Charles-Odilon a bientôt tout vendu. C’est ainsi qu’il décide de s’installer à Montréal et que naît la librairie Beauchemin, premier éditeur francophone du pays.

Grâce à de bons appuis dans le clergé et au gouvernement, la maison Beauchemin deviendra rapidement le principal éditeur scolaire de la province. Des générations de petits Canadiens français vont étudier dans les manuels qu’elle publie et les exemplaires exposés au musée «permettent de repérer plusieurs éléments de l’évolution de notre système éducatif», a noté Michel Laurier, le doyen de la Faculté, ajoutant qu’on parcourt cette exposition «avec un mélange de curiosité, de nostalgie et d’amusement».

En 1927, l’ABC d’histoire sainte, qui servait de préparation à la première communion, coûtait 25 ¢. À la même époque, les livres de récompense que les bons élèves recevaient à la fin de l’année scolaire étaient vendus 25 ¢ pour l’édition brochée, 50 ¢ pour l’édition «cartonnage imitation toile» et 70 ¢ pour l’édition de luxe, offrant «demi-reliure, tranche jaspée et tête rouge polie». Les titres – L’enfant perdu et retrouvé, En guettant les ours, Trois légendes de mon pays, Les deux Papineau, Le tomahawk et l’épée – faisaient la promotion des «mœurs, coutumes et exploits de la race». Ils témoignaient de la volonté étatique de l’époque d’asseoir le nationalisme sur des bases solides, souligne le panneau explicatif. Marcel Boisvert, qui a lui-même reçu un de ces livres dans son enfance, confie qu’il a perdu énormément de temps au début de ses recherches en vue de l’exposition: «Je passais tout mon temps à lire!» raconte-t-il en riant.

Plus de place au livre indigène

Dès 1876, des pressions sont exercées sur la surintendance de l’Instruction publique pour que plus de place soit accordée au livre indigène dans les distributions de prix, plutôt qu’à «ces affreux petits et gros livres dorés qui nous arrivent par ballots à travers l’Atlantique et qui sont bourrés de niaiseries.» C’est ainsi que des auteurs canadiens-français auront la chance d’être publiés : plusieurs sont tombés dans l’oubli, mais le catalogue de Beauchemin compte aussi des noms tels que Philippe Aubert de Gaspé, Octave Crémazie, Louis Fréchette, Anne Hébert, Gabrielle Roy et Germaine Guèvremont.

Aujourd’hui, Beauchemin éditeur, spécialisé dans les manuels scolaires, publie des titres pour tous les niveaux d’enseignement, que ce soit en sciences infirmières, en géographie, en calcul différentiel ou en français langue seconde. Dans ces ouvrages, la religion n’a plus sa place. Cela n’a pas toujours été le cas et l’exposition rappelle la place prépondérante qu’elle occupait autrefois dans l’éducation et l’édition.On sourira devant l’Histoire du Canada de 1867, illustrée d’une gravure montrant un jésuite aux prises avec des Indiens féroces. Guy Frenette, président-directeur général de Beauchemin, a aussi attiré l’attention du public sur un exemplaire rare d’un catéchisme en cri datant de 1895. Pour la photo, Marcel Boisvert a accepté de le sortir du cube vitré dans lequel il est exposé. Ce sera d’ailleurs le seul regret des visiteurs de cette exposition: pour des raisons bien évidentes, il est impossible de feuilleter les manuels de jadis.

L’inauguration de l’exposition a été suivie d’un colloque sur un sujet chaud, la violence à l’école. Organisé par François Bowen, vice-doyen aux études supérieures et à la recherche, Roch Chouinard et Nadia Desbiens, professeurs au Département de psychopédagogie et d’andragogie, ce colloque avait pour but de provoquer la réflexion sur la prévalence de la violence et ses déterminants dans l’environnement scolaire.

Marie-Claude Bourdon



 
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