Édition du 15 mars 2004 / volume 38, numéro 24
 
  Courrier du lecteur
Imposture freudienne ou imposture psychothérapeutique?

Forum publiait, dans son édition du 1er décembre dernier, un texte coiffé du titre «L’imposture freudienne» dans lequel deux professeurs, Serge Larivée et Hubert Van Gijseghem, dénonçaient ce qu’ils appelaient «la tyrannie de la psychanalyse». Le 12 janvier suivant, Hélène David, professeure au Département de psychologie, s’en prenait à la critique des deux professeurs. La lettre ci-dessous fait suite à ce débat.

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À l’aube des années 70 paraît une étude de Robert Castel qui s’intéresse déjà à la diffusion extraordinaire de la psychanalyse au-delà de la pratique clinique. Rien, à cette époque, ne semble se dérober à l’emprise de la psychanalyse, qui séduit tour à tour les sciences sociales, la littérature, le cinéma, la médecine et les médias. Robert Castel, dans ce travail devenu un classique de la sociologie, assimile le fonctionnement de la psychanalyse à celui d’une idéologie transposant systématiquement des problématiques sociales, économiques, culturelles ou politiques dans le champ clos de l’inconscient du sujet. Le néologisme «psychanalysme» désignait alors ce «principe actif d’invalidation» des dimensions autres que celles des conflits intrapsychiques du sujet.

Plus d’un quart de siècle après la publication de Psychanalysme, que reste-t-il de l’hégémonie de la psychanalyse? La scène clinique accuse le retour en force de la psychopharmacologie, dont témoignent le succès retentissant des nouveaux antidépresseurs chez les adultes et des stimulants du système nerveux central chez les enfants, de même que l’émergence d’un ensemble de techniques dites psychothérapeutiques. Paradoxalement, l’effet de réduction des dimensions politiques et sociales aux problématiques particulières des individus, attribué autrefois à la psychanalyse, n’a cessé de se diffuser en extension et en profondeur à un degré jamais atteint jusqu’ici. Le «psychanalysme», cette forme plus ou moins grossière de travestissement de tout problème social en problème de «manque de compétences adaptées» de l’individu, carbure aujourd’hui plutôt au cognitivo-comportementalisme gestionnaire et à la psychopharmacologie généraliste. Autres temps, autres impostures?

Qu’est-ce qu’une psychothérapie?

L’ambiguïté, ou la fraude entourant le caractère scientifique des psychothérapies, n’est pas nouvelle ni ne s’arrête devant les portes des institutions, a déjà dit Serge Larivée. Tout comme la peste, pour reprendre la boutade attribuée à Freud pendant son voyage aux États-Unis, elle sévit partout. Mais si auparavant c’était la psychanalyse qui colonisait les lieux de «savoir psy», à présent ce n’est plus le cas. Autres temps, autres impostures?

Les travaux aujourd’hui classiques de Foucault et de Castel, pour ne nommer que ceux-là, témoignent de l’importance que revêt l’ambiguïté inhérente à ce champ de pratiques lorsqu’on veut comprendre la manière occidentale de gérer des enjeux, des identités, des clivages et des conflits sociaux par le déploiement d’une foule d’interventions diversifiées et disséminées à l’échelle du social visant la santé, le bien-être, voire le bonheur des individus. Si Freud et Lacan sont morts et si la psychanalyse a perdu beaucoup de son ancienne influence, les nouveaux paradigmes, pas plus scientifiques que les anciens, occupent toute la place dans la gestion de l’adaptation individuelle de nombreux «clients». Autres temps, autres impostures?

Il va sans dire que l’identification des procédures qui relèvent davantage du dressage social que de la thérapeutique ne suscite guère aujourd’hui l’embarras des intervenants concernés, patentés ou non. Le pragmatisme, le «réalisme», voire le bon vieux «bon sens», animent l’esprit de bien des praticiens qui, lassés des débats éthiques et théoriques «stériles», demeurent néanmoins désireux de venir en aide, tout simplement, à leurs «clients» en se mettant «à l’écoute» de ce qu’on appelle leurs «vrais besoins», dans «l’ici et maintenant». Car, c’est le «client» lui-même, consommateur souverain et averti de «services psychologiques», qui est à l’origine, nous dit-on, de la «demande d’intervention». C’est le même «client», celui qui paie plutôt que celui qui souffre, qui choisit massivement et en toute liberté, semble-t-il, tant de se river à l’écran fasciné par la téléréalité que de suivre des psychothérapies en tout genre.

Marcelo Otero

Professeur au Département de sociologie de l’UQAM et chercheur affilié au GRASP, de l’Université de Montréal



 
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