Édition du 22 mars 2004 / volume 38, numéro 25
 
  Richard Martel: l’homme aux nanotubes de carbone
L’ordinateur de l’avenir sera-t-il fabriqué à base de nanotubes?

Richard Martel

Architecte, le beau-frère de Richard Martel a entendu parler, l’hiver dernier, d’«un fou à l’Université de Montréal qui voulait se faire construire un plancher de sept mètres d’épaisseur». «Le fou, c’était moi», raconte Richard Martel en riant. Le professeur du Département de chimie, titulaire d’une chaire de recherche du Canada, a simplement exigé un environnement de travail à l’abri des vibrations terrestres. En effet, les microscopes à résolution atomique qu’il utilise pour voir les minuscules matériaux sur lesquels il travaille ne tolèrent aucune interférence. Ce sont les ingénieurs engagés pour la construction du Pavillon J.-Armand-Bombardier, où son nouveau laboratoire sera installé, qui ont calculé l’épaisseur de la dalle de béton nécessaire pour prévenir toute vibration du sol. «J’aurai le plancher le plus tranquille en ville», poursuit sur un ton amusé le jeune scientifique de 38 ans, un «cerveau» rapatrié l’automne dernier du prestigieux IBM T.J. Watson Research Center, dans l’État de New York.

C’est donc dans cet environnement extrêmement stable que Richard Martel va poursuivre ses travaux de recherche sur le monde infiniment petit des nanosciences et des nanotechnologies. Son projet, qui regroupe des experts universitaires et de l’industrie de diverses disciplines, dont la chimie, la physique et l’ingénierie, vient d’obtenir des subventions de plus de 20 M$ de la Fondation canadienne pour l’innovation et de Recherche-Québec. Il vise à étudier les aspects théoriques, expérimentaux et numériques des nanomatériaux électroniques, en particulier des nanotubes de carbone dont Richard Martel est devenu l’un des grands spécialistes. Le travail du scientifique sur les propriétés optoélectroniques des composants basés sur les nanotubes de carbone a d’ailleurs été choisi par la revue Chemical and Engineering News parmi les accomplissements majeurs en chimie de l’année 2003.

Du silicium au carbone

Au cours des dernières décennies, la miniaturisation des composants électroniques à base de silicium a progressé à une vitesse fulgurante. Car la miniaturisation, loin de réduire les performances, les accroît. «Chaque fois qu’on réduit de moitié les composants de silicium, on augmente la performance des transistors tout en diminuant de beaucoup l’énergie consommée, explique Richard Martel. Dans les années 1970-1980, les composants utilisés dans les ordinateurs mesuraient un micron (un millionième de mètre) de long. Aujourd’hui, ils font 100 nanomètres (un nanomètre représente un milliardième de mètre). C’est ce qui fait que les ordinateurs de table actuels ont une puissance équivalente à celle des superordinateurs de l’époque.»

Lorsqu’il se joint à l’équipe de recherche d’IBM, en 1995, après un doctorat en chimie-physique à l’Université Laval, Richard Martel a pour mandat d’étudier les limites de la technologie du silicium. Car à force de réduire la taille des composants, on en arrive à manipuler des objets qui se réduisent à quelques atomes d’épaisseur. «Comme on ne peut pas scinder l’atome en deux, on savait qu’on ne pouvait plus s’attendre à une progression continue des performances», dit le chercheur. En fait, ses travaux ont permis de démontrer qu’en deçà de 10 nanomètres la performance des prototypes de silicium se dégrade. «Jusqu’à maintenant, rien n’a battu le silicium, déclare Richard Martel. Mais d’ici 2015, l’évolution des composés de silicium atteindra un plateau.»

La recherche s’est donc tournée vers l’étude de nouveaux matériaux. Très vite, on s’est intéressé aux propriétés du carbone, un élément proche du silicium qui se situe juste au-dessus de lui dans le tableau périodique. Ce qui accroche tout particulièrement Richard Martel, ce sont les nanotubes de carbone, une structure microscopique qu’on a découverte dans les années 90 et qui s’avère pleine de promesses sur le plan théorique. «C’est une structure qui existe telle quelle dans la nature. Il s’agit de la manipuler ou de l’assembler pour en faire quelque chose d’utile», explique le scientifique.

Les nanotubes de carbone ressemblent à de la poussière de charbon. On peut les mettre en solution et les traiter de façon chimique pour les assembler. En utilisant les technologies du silicium, on a montré, en 1998, qu’on pouvait fabriquer des transistors à partir de nanotubes de carbone. Au départ, les performances étaient médiocres. Mais les travaux de Richard Martel ont permis d’améliorer celles-ci de façon remarquable. En 2002, les composants obtenus offraient des performances supérieures aux limites physiques envisageables avec le silicium. «Plusieurs défis techniques restent à relever, mais, si l’on parvient à intégrer ces structures, on parle de plusieurs années de développement technologique et de plusieurs nouvelles générations d’ordinateurs», affirme Richard Martel.

Des propriétés extraordinaires

Déjà, des travaux théoriques comme ceux de Michel Côté, professeur au Département de physique, indiquaient que les nanostructures de carbone pourraient posséder des propriétés de conduction électrique exceptionnelles par rapport aux matériaux traditionnels. «Nos résultats ont démontré qu’il s’agit probablement du meilleur conducteur sur la planète, dit Richard Martel. On peut le soumettre à des densités de courant inégalées.» Pourquoi? Parce que la structure est à la fois très rigide (les liaisons carbone-carbone sont très fortes), très longue et très petite (un nanomètre ou quelques atomes de largeur). L’électron, qui s’y retrouve à l’étroit, ne peut qu’avancer ou reculer dans le nanotube: il file comme une balle et c’est ce parcours balistique qui permet de diminuer la résistance et la perte d’énergie.

Dans son nouveau laboratoire de l’UdeM, Richard Martel continuera à étudier les propriétés des nanotubes de carbone, notamment leurs propriétés photovoltaïques. Selon le voltage appliqué, le composant de nanotube permet tout à la fois d’émettre de la lumière infrarouge et de la détecter. Les plus récents travaux du scientifique à IBM l’ont d’ailleurs amené à créer la plus petite source lumineuse de ce genre dans le monde. On ignore encore la portée technologique de ces découvertes, mais l’étude des propriétés uniques des nanostructures est au cœur de toute la recherche en neurosciences. Des nouveaux matériaux à la médecine, en passant par les communications et l’électronique, on pense à des applications dans toutes les sphères de l’activité humaine. «Je crois qu’on pourra faire des choses complètement inattendues avec les nanotubes, avance Richard Martel. Entre autres, ils pourraient servir à améliorer la technologie des capteurs solaires.»

Produire de l’énergie renouvelable grâce aux nanotubes? Aujourd’hui, les capteurs solaires coûtent cher et leur performance ne dépasse guère 2 ou 3 %, sauf pour les capteurs à base d’arséniure de gallium, qu’on utilise pour alimenter les satellites et dont le rendement est d’un peu plus de 20 %. Mais leur prix est énorme. «Si l’on réussissait à atteindre une performance de 30 % grâce aux nanotubes, un capteur de 100 km sur 100 km dans le désert du Nevada pourrait combler les besoins énergétiques des États-Unis en entier», affirme Richard Martel d’un ton enthousiaste. Un rêve? Oui, poursuit-il en souriant: «C’est un rêve qui me sert de prétexte pour continuer à étudier les propriétés physicochimiques des nanotubes.»

Marie-Claude Bourdon



 
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