Édition du 22 mars 2004 / volume 38, numéro 25
 
  Hausse de la criminalité chez les femmes
En 25 ans, le taux de la criminalité féminine a doublé au Canada

Marie-Andrée Bertrand présentera son étude sur la criminalité au féminin ce mardi aux Belles Soirées.

La criminologue Marie-Andrée Bertrand ne cache pas son étonnement. Alors que la proportion de femmes en milieu carcéral était de 3,5 % en 1972, elle avait atteint 7 % en 2001. En chiffres absolus, le nombre de femmes incarcérées est passé de 1700 à plus de 3700.

La professeure émérite de l’École de criminologie ne s’attendait pas à une telle hausse lorsqu’elle a entrepris la «mise à jour» des données qu’elle a publiées sur le sujet en 1979. Cette révision s’est transformée en réécriture complète de son ouvrage précédent tellement la réalité avait changé. Le résultat de ce travail vient de paraître chez Athéna sous le titre Les femmes et la criminalité. Mme Bertrand livrera le fruit de ses analyses au cours d’une conférence qui se tiendra ce mardi aux Belles Soirées (voir le calendrier).

Quel que soit l’angle sous lequel on aborde la criminalité chez les femmes (arrestations, mises en accusation, condamnations, incarcérations, type de délit), on observe une augmentation notable des chiffres depuis 25 ans.

En 1976, on comptait 554 femmes accusées par 100 000 personnes au Canada. En 2001, il y en avait 776. Ce qui étonne, c’est qu’au moment où le nombre de crimes augmente chez les femmes il diminue chez les hommes: pendant la même période, le nombre d’hommes accusés par 100 000 personnes passait de 4960 à 3489.

Crimes avec violence

Autre sujet d’inquiétude, c’est surtout au chapitre des crimes violents que l’augmentation est la plus grande. En 1976, les femmes représentaient 7,8 % des gens accusés de crimes avec violence. En 2001, leur proportion était de 17,2 %. Leur représentation a doublé pour ce qui est des accusations de délits contre les mœurs ou contre l’ordre public, passant de 10,4 à 19,9 %. Quant aux crimes contre les biens, la représentation féminine est passée de 17,1 à 23,2 % parmi l’ensemble des accusés.

«Il y a 30 ans, la moitié des femmes condamnées à des peines de plus de deux ans l’étaient pour des affaires de stupéfiants et seulement le quart l’étaient pour des actes de violence contre les personnes, souligne la criminologue. Aujourd’hui, près des deux tiers des longues peines sont imposées pour des crimes avec violence et moins du quart pour des affaires de drogues. L’augmentation des incarcérations n’est donc pas due à des délits mineurs.»

Un aspect non négligeable du problème est la surreprésentation des femmes autochtones. Elles représentent 23 % des femmes incarcérées alors qu’elles ne comptent que pour 2 % de la population féminine canadienne totale. Selon la professeure, leur présence accrue dans les prisons serait liée à leur exode vers les villes, où elles ne réussissent pas à s’insérer de façon «socialement acceptable».

Changement d’attitude?

Dans son volume, Marie-Andrée Bertrand cherche à expliquer la hausse de la criminalité chez les femmes en abordant diverses hypothèses: accroissement réel des délits causé par leurs nouvelles conditions de vie, visibilité plus grande de leurs comportements délictueux ou encore changement d’attitude à leur égard de la part de l’appareil judiciaire.

Cette dernière hypothèse est la plus controversée puisque les données et les témoignages semblent se contredire. Une étude citée par la chercheuse tend à indiquer que le système judiciaire est plus clément envers les femmes. Par exemple, dans les cas où l’accusation ne concerne qu’une seule infraction, 20 % des hommes accusés de voies de fait se sont vu imposer une peine d’emprisonnement, contre 8 % des femmes; dans les cas de conduite avec facultés affaiblies, 33 % des hommes ont reçu une sentence d’emprisonnement contre 6 % des femmes. Non seulement les femmes sont moins souvent condamnées à la prison, mais leurs peines sont généralement plus courtes.

L’explication de leur présence grandissante dans les pénitenciers serait donc dans l’accroissement des «crimes contre la vie humaine», pour lesquels il n’y a pas de peine non carcérale.

Marie-Andrée Bertrand émet également l’hypothèse que le milieu judiciaire pourrait avoir changé d’attitude envers les femmes en considérant leur autonomie croissante et leur réussite professionnelle. Des témoignages entendus de la part de policiers vont en ce sens. «Des policiers affirment que l’autonomie des femmes les amène à les considérer comme des êtres responsables au même titre que les hommes», indique la criminologue. Ce qui voudrait dire qu’ils faisaient auparavant preuve de plus de mansuétude à leur égard.

De plus, les données montrent que c’est surtout à partir de 1996 que le nombre de femmes incarcérées s’est mis à grimper, du moins dans les établissements fédéraux. Pourquoi 1996? «C’est à cette époque qu’ont été ouverts les cinq nouveaux pénitenciers pour femmes à Joliette, Kitchener, Edmonton, Maple Creek et Nova, en Nouvelle-Écosse. Ces établissements ont fait tripler le nombre de places», observe la chercheuse. Les installations étant disponibles, les décideurs ont pu régler leur pratique en conséquence.

Des relents de machisme pourraient aussi être à l’œuvre. Policiers, avocats, agents correctionnels ou juges pourraient sévir plus fréquemment contre les femmes «déviantes» qui ne remplissent pas le rôle traditionnel qu’on leur a attribué, relents suscités par leur accession à l’autonomie. C’est du moins une hypothèse que Marie-Andrée Bertrand invite à considérer.

La chercheuse se serait par ailleurs attendue à ce que l’arrivée massive des femmes dans les professions juridiques influe sur la «culture de genre» qui y règne. Elle a toutefois constaté que ces femmes épousent plutôt la culture déjà en place.

Daniel Baril

Marie-Andrée Bertrand, Les femmes et la criminalité, Montréal, Athéna, 2003, 209 p.



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement