Édition du 22 mars 2004 / volume 38, numéro 25
 
  Peines et châtiments
Un colloque international sur la pénologie

Marion Vacheret et Christian Nadeau

Le châtiment existe depuis la nuit des temps. Depuis toujours, il suscite réflexions, discours et justifications. La notion de châtiment a-t-elle toujours un sens dans nos sociétés démocratiques? De quel droit punit-on? Selon quelles valeurs? Et quel est le but poursuivi par la peine? Voilà quelques-unes des questions qui seront abordées à un colloque international et interdisciplinaire organisé par le Centre de recherche en éthique et le Centre international de criminologie comparée. Ce colloque, qui se tiendra au Palais de justice de Montréal les 26 et 27 mars, réunira des experts de plusieurs disciplines des sciences sociales: philosophes, historiens et criminologues vont dresser un état de la recherche et partager leurs réflexions sur les perspectives d’avenir en matière de sanctions pénales.

Dans nos sociétés démocratiques, la peine de mort n’est plus acceptable. Nos consciences vont-elles évoluer de manière que d’autres peines, beaucoup moins lourdes, deviennent aussi inacceptables? C’est la question que pose Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie et responsable scientifique de cette activité: «Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour repenser les châtiments imposés aux personnes qui ont commis des crimes?»

L’aspect punitif de la peine n’a-t-il pas déjà été évacué au profit d’idéaux de réhabilitation? Pas toujours, répond le philosophe, soulignant que la réhabilitation peut aussi être vue comme un châtiment. «Réhabiliter par rapport à quoi? Par rapport à quelles valeurs? Quand on veut réhabiliter un individu, on veut le rendre conforme à ce que nous souhaitons de lui. Or, on peut aller très loin en suivant cette logique-là. Les camps de concentration soviétiques fonctionnaient exactement selon ce principe.»

Si l’on considère que la peine sert à maintenir la cohésion sociale et que celle-ci prime sur le droit des individus, on risque de l’utiliser contre des innocents, observe Christian Nadeau. C’est ce qui s’est produit dans les dictatures d’Amérique latine et ici même, au Québec, avec l’adoption de la Loi sur les mesures de guerre. «On voulait rétablir l’ordre et sauver l’État, et on l’a fait au détriment des droits des individus», souligne le philosophe. La société peut-elle pour autant se passer de châtiments? Dans une présentation intitulée «Impunité et non-impunité», le réputé criminologue de l’UdeM Jean-Paul Brodeur parlera de la théorie de la non-impunité, selon laquelle la peine est nécessaire pour éviter l’affaiblissement de la règle, et donc de la société.

Mériter sa peine

On peut situer la peine à l’intérieur du droit des individus, dit Christian Nadeau, mais cela nous oblige alors à faire intervenir la notion de mérite. «Dans une société donnée, il y a ce qu’on appelle une mutualité des restrictions, explique-t-il. Puisque nous partageons tous les mêmes droits, tous nos droits doivent être respectés mutuellement. Si quelqu’un ne respecte pas ce principe de mutualité, on considère qu’il est juste de le punir. Autrement dit, il a «mérité» sa punition.»

Cette perspective ne permet toutefois pas de définir la peine. En effet, selon le principe de mutualité, une personne qui a commis un meurtre devrait être punie par la peine de mort. Or, la peine capitale ne nous semble plus acceptable. Comment déterminer le degré de sévérité du châtiment qui doit s’appliquer? Denis Salas, de l’École nationale de la magistrature de Paris, s’interroge sur le sentiment d’insuffisance provoqué par la peine. «Peut-on établir une équivalence entre la souffrance liée au crime et la souffrance liée à la peine? C’est sur cette question que portera sa présentation intitulée "Mal moral et équivalence pénale"», note Marion Vacheret, professeure au Département de criminologie et organisatrice de ce colloque avec Christian Nadeau. De son côté, Alvaro Pirès, du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, s’interrogera sur la prise en compte de l’opinion publique dans l’établissement de la peine.

Culpabilité et responsabilité

Deux grands questionnements traversent donc la réflexion sur la justice pénale. Le premier a trait à la justification de la peine et le second s’attache à définir ce que doit être celle-ci une fois qu’on l’a justifiée. Ces deux questionnements en sous-tendent un autre. «Celui qui est coupable, dans quelle mesure est-il responsable? demande Christian Nadeau. En principe, les adultes sont responsables de leurs actes, mais on a dit, fort justement, que la société a les criminels qu’elle mérite. Dans la mesure où une société ne fait pas en sorte que les gens veuillent respecter les règles, n’est-elle pas en partie responsable du fait que, par exemple, une personne acculée au désespoir soit poussée à voler?»

Toutes ces interrogations ne datent pas d’hier. Déjà, aux 17e et 18e siècles, les termes des débats relatifs aux châtiments étaient posés, démontreront les historiens conviés au colloque. Leurs contributions permettront d’apporter un autre éclairage à ces débats qui restent toujours brûlants d’actualité. «Selon moi, l’intérêt principal de ce colloque est de réunir des spécialistes de différentes perspectives qui vont poser un regard critique sur la sanction pénale dans la société contemporaine, principalement occidentale, et nous permettre de réfléchir à l’avenir de cette question très importante», conclut la criminologue Marion Vacheret.

Marie-Claude Bourdon



 
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