Édition du 29 mars 2004 / volume 38, numéro 26
 
  Quel avenir pour la théologie?
«L’objet essentiel de la théologie est la question de Dieu»

Quelle est la situation actuelle de la théologie et sa place à l’université, dans l’Église et dans la société? Une centaine de personnes ont discuté cette question au colloque «Les lieux de la théologie aujourd’hui», tenu à l’Université du 11 au 13 mars. Quatre conférences principales et une dizaine de communications ont été présentées au cours de cette activité du 125e anniversaire de la Faculté de théologie et de sciences des religions.

À l’ouverture du colloque, Jean-Claude Petit, professeur à l’UdeM, a dressé un état des lieux plutôt sombre. On constate un déclin des inscriptions dans les principales facultés de théologie au Québec et ailleurs en Occident. Les maisons d’édition publient de moins en moins en théologie, faute d’acheteurs. Le champ théologique s’est fractionné de manière débridée par une multiplication des sujets et des approches. On en vient à se demander «si la prétention chrétienne a perdu sa force d’interpellation pour nos contemporains».

Dans un tel contexte, certains favorisent une action de «repli sur l’institution», tandis que d’autres prônent une «transformation de la théologie en sciences des religions». Jean-Claude Petit récuse ces deux scénarios. Il rappelle que l’objet essentiel de la théologie est la question de Dieu, et que «l’horizon du travail théologique est le monde de tous», comme l’écrit Pierre Gisel. S’inspirant de Fernand Dumont, il invite les théologiens à s’ouvrir à la totalité de l’expérience humaine telle qu’elle se présente dans la culture contemporaine.

Faisant part de son expérience comme professeur et ex-doyen de la Faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain, Jean-Marie Sevrin a soutenu que la théologie «peut s’inscrire comme une science humaine dans le champ universitaire avec profit pour elle-même et pour l’université». En plus de jouer un rôle de «mémoire culturelle» pour la société, la théologie constitue un «pôle de gratuité et de sens» qui met en garde contre l’absolutisation de la rationalité scientifique et technique et elle se prête particulièrement bien à des démarches interdisciplinaires non seulement avec d’autres branches des sciences humaines (philosophie, histoire, anthropologie, etc.), mais aussi avec les sciences de la nature et de la santé.

Ex-président du Sénat de l’Université de Lausanne, spécialiste de l’histoire du protestantisme et formateur d’adultes dans l’Église réformée de Neuchâtel pendant plusieurs années, Denis Müller a souligné que le théologien confessionnel travaillant dans une université publique est dans une position ambivalente: il est à la fois rattaché à son Église et indépendant d’elle. La «loyauté critique» qu’il exerce envers cette institution est souvent incomprise des autorités religieuses, tandis qu’elle paraît suspecte à ses collègues de l’université. Sa condition n’est pourtant pas exceptionnelle, car d’autres champs disciplinaires (droit, génie, médecine, etc.) entretiennent le même genre de rapport avec des instances régulatrices.

En dépit de sa perte d’autorité, la théologie chrétienne est toujours une ressource pour penser les questions de société. Responsable des études de doctorat en théologie à l’Institut catholique de Paris, la moraliste Geneviève Médevielle a décrit trois modèles d’engagement social chrétien en prenant comme exemple l’action de l’Église de France dans l’accueil des étrangers illégaux.

Dans la ligne d’une «éthique autonome», les évêques de France sont intervenus dans le débat comme tout autre citoyen en se référant à la valeur commune de la fraternité. L’un d’entre eux, attaché davantage au modèle de «l’éthique de la foi», a pris position ouvertement au nom de la tradition chrétienne en rappelant qu’elle «commande de servir Dieu dans les pauvres». Des groupes chrétiens qui privilégient l’approche de «l’éthique communautarienne de la foi» ont élaboré une position contre-culturelle en tension avec certaines valeurs sociales dominantes; c’est à eux qu’ont fait appel les réfugiés musulmans qui ont cherché asile dans des églises catholiques.

À la fin du colloque, des participants ont suggéré d’associer des représentants d’autres religions à la réflexion des théologiens chrétiens. On a également souligné l’importance de consolider les liens entre les établissements universitaires de théologie sur les plans national et international. Les rapports entre la théologie, les sciences des religions et les autres disciplines pourraient aussi être explorés au cours de prochaines rencontres.

Jean Duhaime

Collaboration spéciale

Professeur titulaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions et organisateur du colloque



 
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