Édition du Édition du 5 avril 2004 / volume 38, numéro 27
 
  L’ortograf alternativ: un konpromi optimal
Le Groupe Défi apprentissage a mis au point une orthographe pour déficients intellectuels

Une page du manuel de technologies et sciences de la nature traduite en "ortograf alternativ"

Les enfants aux prises avec de sérieuses difficultés d’apprentissage pourront tirer un meilleur profit de leur passage à l’école grâce à la méthode baptisée «ortograf alternativ», élaborée par le Groupe Défi apprentissage (GDA) du Département de psychopédagogie et d’andragogie.

Comme le nom du prototype expérimental l’indique, il ne s’agit pas d’une simplification de l’orthographe mais bien d’un mode alternatif de communication écrite destiné à des enfants atteints de déficiences intellectuelles légères (de 55 à 70 de QI) ou profondes (de 25 à 55 de QI), tels les trisomiques et les autistes.

«Pour ces enfants, la maîtrise de l’orthographe est inatteignable et ils sont contraints à l’analphabétisme», explique Sylvie Rocque, codirectrice du GDA avec Jacques Langevin. Leur scolarisation, qui se limitait bien souvent à leur simple présence physique en classe, leur permettra d’apprendre une méthode de lecture et d’écriture les rendant fonctionnels dans leur environnement immédiat.

34 graphèmes

La méthode, mise au point au cours de 10 ans de recherche à partir de la thèse de doctorat de Caroline Germain, repose sur la simplification des textes proposés aux élèves des classes ordinaires et sur la réduction du code alphabétique à 34 graphèmes fixes. On ne retient, par exemple, qu’une seule façon d’écrire le son «o», soit en employant la lettre o, et l’on n’écrit que ce qui se prononce. Alors que les chercheurs ont dénombré pas moins de 459 manières d’écrire le mot «auto» – allant de «hautheault» à «oto» –, l’enfant n’apprendra que l’orthographe vocale «oto».

De même, le son «è» sera toujours écrit «ê», que ce soit dans la terminêson des verbes à l’imparfê ou dans le corps d’un mot comme nêge ou élêve. Exit les rêgles d’accord du participe passé des verbes pronominaux, que même les rédacteurs d’expérience ne mêtrisent pas.

 

 Jacques Langevin

L’autonomie ainsi acquise ne permet pas, bien sûr, de lire le journal ni même les affiches du métro. «Ce n’est pas l’idéal, mais c’est un compromis optimal qu’il faut comparer au braille, fait valoir Jacques Langevin. Il faut comprendre que ces enfants ne retiendraient presque rien de leur passage à l’école et finiraient leur scolarité analphabètes. Avec cette méthode, ils peuvent apprendre à lire et à écrire et suivre les activités normales de la classe.»

Seule concession à l’orthographe traditionnelle: l’écriture des noms propres. Pour permettre à l’enfant de lire son nom écrit par d’autres ou de retrouver sa rue, il apprendra à lire et à écrire les noms propres tels qu’ils sont normalement orthographiés.

Traduction des manuels

Pour que ces enfants puissent suivre les activités de leur classe, les manuels doivent être adaptés. C’est ce à quoi travaille le GDA qui, depuis septembre 2003, expérimente à l’école Saint-Luc, de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, du matériel «traduit». Mélanie Paré consacre sa maîtrise à cette expérience et encadre un groupe de 18 étudiantes en orthopédagogie. La tâche de ce groupe de bénévoles consiste à seconder les parents dans le travail d’adaptation des volumes.

Mélanie Paré

Cette adaptation se fait actuellement à la pièce et de manière artisanale. Une fois le texte simplifié et réécrit en «ortograf alternativ», il faut réaliser une mise en pages de ce texte qui se superposera à la page du manuel de base utilisé par les autres élèves. Ceci se fait à l’aide de feuilles autocollantes découpées de façon à dégager les illustrations. Cette méthode permet aux élèves en difficulté de se servir des mêmes ouvrages que le reste de la classe et de discuter des mêmes sujets.

Déjà, les livres de base répondant aux normes des réformes en français, en technologies et sciences de la nature, en mathématiques et en univers social de troisième année ont été adaptés. «Nous avons débuté avec les manuels de troisième année parce que les parents tiennent toujours à ce que leur enfant essaie d’abord les méthodes normales, explique Jacques Langevin. Il faut donner la chance au coureur.»

Jusqu’ici, l’expérience s’avère très positive si l’on en juge par les témoignages de parents. «Des parents nous ont signalé que leur enfant avait réussi à lire son premier livre après six mois d’apprentissage de l’orthographe alternative, alors qu’il avait accumulé six ans d’échecs à essayer d’apprendre l’orthographe traditionnelle, relate Sylvie Rocque. D’autres ont appris à composer des poèmes, des chansons ou veulent absolument écrire la liste d’épicerie à la place de leur mère.»

«Auparavant, poursuit la professeure, ou bien on laissait ces enfants écrire n’importe comment, ou bien on leur disait qu’ils faisaient des fautes. Mais on ne leur avait jamais montré qu’ils pouvaient apprendre une méthode d’écriture.»

Sylvie Rocque

L’expérience a aussi révélé un aspect inattendu aux yeux des chercheurs: ces enfants découvrent le plaisir d’apprendre et de maîtriser une tâche à leur mesure. «La reconnaissance sociale associée au savoir-lire est à leur portée», souligne la professeure.

Leur apprentissage amène également les autres élèves à changer d’attitude à leur égard. «Cela modifie même les perceptions des enseignantes qui ne savaient pas comment leur présenter le matériel didactique non adapté, ajoute Mélanie Paré. Elles rencontrent moins de résistance chez l’élève qui refusait une tâche trop difficile pour lui.»

Le GDA prépare actuellement un volume pour faire connaître cette méthode et rêve de produire un cédérom qui permettrait à chaque parent d’avoir accès à du matériel adapté.

Daniel Baril



 
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