Édition du 19 avril 2004 / volume 38, numéro 28
 
  La représentation sociale des sciences
À l’université, les étudiants classent la biorythmie, la réflexologie et la graphologie parmi les sciences

Hervé Genge

Les mathématiques, la génétique, l’astronomie, l’homéopathie, l’ufologie sont-elles des sciences? Si oui, le sont-elles au même titre? Jusqu’à quel point le degré de scientificité qu’on accorde à ces disciplines influe-t-il sur nos décisions?

C’est ce que cherche à mesurer Hervé Genge, chargé de cours au Département de psychologie, dans une recherche doctorale présentement en cours et portant sur la représentation sociale qu’on se fait des sciences et des pseudosciences, du secondaire à l’université.

«Le concept de représentation sociale renvoie à nos connaissances et à nos croyances sur les sciences, explique le chercheur. Il inclut donc les fonctions cognitives et les aspects sociaux qui modulent nos perceptions. D’une part, j’évalue la capacité des étudiants à distinguer les disciplines scientifiques de certaines approches qui se disent scientifiques sans pour autant en utiliser la méthode. D’autre part, j’analyse la façon dont les gens rationalisent leurs pensées et leurs actes lorsqu’ils prennent conscience que leurs décisions ne reposent sur aucune base scientifique.»

Sciences et pseudosciences

Hervé Genge a demandé à plus de 1000 étudiants du secondaire, du collégial et de l’université d’évaluer, sur une échelle de 1 à 5, la scientificité de 20 disciplines reconnues comme étant des sciences et de 20 autres réputées pour être des pseudosciences. Est considérée comme scientifique une discipline dont les données proviennent de l’observation, effectuée à l’aide de méthodes fiables et d’expériences reproductibles, et qui sont basées sur des théories qu’on peut chercher à réfuter. Le chercheur s’appuie également sur les définitions fournies par les grands dictionnaires et sur les consensus établis par les organismes subventionnaires.

Les disciplines qui se disent scientifiques sans recourir à la méthode de l’observation scientifique et dont les données défient les lois reconnues sont cataloguées comme des pseudosciences. La liste du chercheur est sans ambiguïté: on y retrouve entre autres l’astrologie, la cartomancie, la biorythmie, l’homéopathie, le ouija et le spiritisme.

Bien que les résultats du chercheur soient encore incomplets, ils indiquent que la détermination adéquate des sciences et des pseudosciences augmente graduellement avec la scolarité. À l’université, l’ensemble des sciences reçoit une cote de scientificité de 4,41 (sur une échelle de 5) contre 3,43 en première secondaire, ce qui représente un écart de 22 %. C’est à partir de la cinquième secondaire que la démarcation est la plus nette: entre la quatrième secondaire et l’université, le taux de détermination adéquate des sciences croît de 18 %. Selon Hervé Genge, ceci peut s’expliquer par un effet de sélection lié à la fin de la scolarité obligatoire.

La même progression est observable dans la détermination adéquate des pseudosciences. En cinquième année du secondaire, les pseudosciences sont mieux reconnues que les sciences puisqu’elles reçoivent respectivement des cotes de 4,12 et de 3,80. Dans l’ensemble du secondaire, la botanique, la zoologie et la géographie reçoivent des cotes de scientificité inférieures à 4, ce qui est considéré comme une reconnaissance inadéquate.

Des pseudosciences parmi les sciences

Malheureusement, au cégep et à l’université, quatre pseudosciences sont inadéquatement désignées, c’est-à-dire qu’elles reçoivent des cotes de scientificité égales ou supérieures à 3. Il s’agit de la biorythmie, de l’homéopathie, de la graphologie et de la réflexologie.

Les questions ouvertes posées par le chercheur permettent de comprendre le regard que les étudiants posent sur ces disciplines et pourquoi ils peuvent les considérer comme scientifiques. Deux arguments de rationalisation sont apportés par les répondants, soit le progrès technologique grâce auquel on va finir par «comprendre» et l’argument d’autorité basé sur la norme sociale.

Fait intéressant à signaler, on observe un clivage intersexe entre ces deux types de raisonnements. «Les hommes, plus que les femmes, invoquent des raisons de nature technologique pour soutenir, par exemple, que l’ufologie va devenir une science lorsque nos connaissances seront assez avancées, indique Hervé Genge. Les femmes, plus que les hommes, s’en remettent à l’argument d’autorité ou de mode: si tout le monde consomme des produits homéopathiques, c’est qu’ils doivent être efficaces et donc élaborés à partir d’aspects scientifiques.»

Outre le niveau de scolarité et le sexe du répondant, le cheminement scolaire lui aussi exerce une influence sur la perception des sciences: les étudiants des disciplines scientifiques déterminent mieux que ceux des sciences humaines quelles disciplines sont des sciences ou des pseudosciences.

Le chercheur poursuit l’analyse de ses résultats en tentant de savoir s’il existe une corrélation entre l’adhésion aux croyances paranormales chez les proches (familles, conjoints, amis) des répondants et la cote de scientificité qu’ils accordent aux pseudosciences. Il cherche également à vérifier si cette cote peut influer sur les décisions à prendre dans la vie de tous les jours. À ce chapitre, il s’attend à observer un écart entre la connaissance et la pratique.

Cette recherche est dirigée par Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation. Les résultats préliminaires de l’étude peuvent être consultés sur le site < www.ed4web.collegeem.qc.ca/prof/hgenge >.

Daniel Baril



 
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