Édition du 17 mai 2004 / volume 38, numéro 30
 
  Bébés mal nourris et maladies chroniques
Un colloque international fait le point sur l’origine précoce des maladies chroniques

Hélène Delisle

Les bébés qui n’atteignent pas leur croissance fœtale optimale en raison de la mauvaise alimentation de la mère pendant la grossesse courent davantage de risques de souffrir d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires une fois parvenus à l’âge adulte. Cette théorie sur l’origine précoce des maladies chroniques a été formulée par le Dr David Barker, en Angleterre, à la fin des années 80. Selon lui, ces maladies seraient en quelque sorte programmées dès la période de gestation et ne se manifesteraient que plus tard, à la faveur de conditions environnementales favorables. Aujourd’hui, de nombreux chercheurs pensent qu’il faut élargir à la période périnatale et postnatale la fenêtre où cette programmation aurait lieu. C’est de cette question, à la fine pointe des recherches en nutrition, que des experts internationaux, dont le Dr Barker, viendront discuter à Montréal dans un colloque organisé par la Dre Hélène Delisle, professeure à l’UdeM et responsable du Centre collaborateur OMS sur la transition nutritionnelle et le développement.

«Il faut bien comprendre, dit la Dre Delisle, qu’un bébé qui n’atteint pas sa croissance maximale pendant la grossesse ou la prime enfance et qui grandit dans un milieu où une extrême pauvreté et même des conditions de sous-alimentation prévalent ne va pas devenir obèse ou développer des maladies chroniques. Mais le même enfant qui, à l’âge adulte, est exposé à un environnement dit «obésogène», parce qu’il migre vers une région urbaine ou vers un pays industrialisé, sera davantage susceptible de souffrir de ces problèmes de santé qu’un autre enfant qui a atteint sa croissance maximale pendant la petite enfance.»

La transition nutritionnelle

La théorie de l’origine précoce des maladies chroniques est donc liée de près au problème de la transition nutritionnelle. Ce phénomène désigne les changements dans les habitudes de vie et l’alimentation qui se produisent au sein de nombreuses populations de pays en développement sous l’influence de l’urbanisation et de la mondialisation. On parle également de transition nutritionnelle dans le cas d’immigrants qui s’établissent dans des pays industrialisés, où ils consomment davantage de gras et de calories que dans leur pays d’origine, mangent moins de fibres et font moins d’exercice. La principale conséquence de la transition nutritionnelle est une incidence accrue de l’obésité et des maladies qui lui sont associées.

Hélène Delisle s’intéresse depuis de nombreuses années à la nutrition à l’échelle internationale. Elle a aussi mené des recherches sur le diabète parmi les Algonquins du Québec, qui sont un peu, comme elle le rappelle, «notre tiers-monde». C’est ainsi qu’elle en est venue à se pencher sur le phénomène de la transition nutritionnelle. «Mon hypothèse, c’est que l’explosion des maladies chroniques dans les populations des pays en développement ou originaires de ces pays n’est pas entièrement causée par les nouvelles habitudes de vie de ces populations. Se pourrait-il qu’il y ait quelque chose d’autre qui explique leur susceptibilité à l’obésité et au diabète? La théorie de la programmation pendant la période de croissance fœtale et la petite enfance jette un nouvel éclairage sur ce problème.» Et que dire du facteur génétique? «Il est certain qu’il existe des prédispositions génétiques au diabète chez les autochtones, répond la nutritionniste. Mais le risque génétique, on ne peut rien y faire, alors que les facteurs environnementaux et nutritionnels, que ce soit pendant la période postnatale ou la vie utérine, on peut parvenir à les modifier.»

Premier centre collaborateur OMS

Aujourd’hui, TRANSNUT, le groupe de recherche multidisciplinaire que Mme Delisle a créé en 2000, étudie le phénomène de la transition nutritionnelle chez les immigrants d’origine haïtienne à Montréal. Ce sont les travaux de TRANSNUT qui ont valu au Département de nutrition d’être désigné premier centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la nutrition au Canada. «Autrefois, l’OMS ne s’intéressait pas à l’obésité, au diabète et aux maladies cardiovasculaires, considérés comme des problèmes de pays riches, remarque Hélène Delisle. Maintenant que l’obésité est devenue plus fréquente que la malnutrition à l’échelle mondiale, l’OMS a adopté une stratégie globale pour lutter contre ce fléau.»

En fait, et c’est un paradoxe qui fera l’objet de discussions durant le colloque, on en arrive, dans les pays en développement, à une coexistence de la malnutrition et des maladies chroniques liées à l’obésité. Une situation qu’on trouve également dans les milieux défavorisés des grandes villes occidentales.

Le colloque permettra de faire le point sur la recherche, «mais aussi de réfléchir sur les implications pratiques de nos travaux pour les politiques de prévention en santé», souligne l’organisatrice de l’activité. Ainsi, on a actuellement tendance à intervenir pour accélérer la croissance de bébés de faible poids afin qu’ils atteignent le plus vite possible un poids optimal pour leur âge. Or, selon les recherches en cours, il semblerait que cela augmente leur risque de développer des maladies chroniques à l’âge adulte.

On peut consulter le site de l’Atelier international sur la nutrition précoce et les risques ultérieurs d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires, qui se tiendra du 6 au 9 juin, à l’adresse < www.mdnut.umontreal.ca/internationalworkshopnutrition/ >.

Marie-Claude Bourdon



 
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