 |
|
Marco Bélanger |
«Tout système social ou politique bâti sur une conception préétablie du bien devient un système totalitaire.» C’est ce qu’affirme Marco Bélanger, doctorant au Département de philosophie, connu pour son volume Le flou dans la bergerie (Liber, 2002), un essai philosophique sur le doute et l’incertitude dans les divers domaines de la connaissance.
Se situant à mi-chemin entre la morale kantienne et la morale humaniste, Marco Bélanger croit que les systèmes sociaux doivent se fonder non pas sur une conception déterminée du bien commun, mais sur un consensus minimal de valeurs assurant le meilleur déroulement possible de la vie en société.
Le paradoxe kantien
Ce consensus minimal se rapproche des principes que nous appelons les droits fondamentaux, c’est-à-dire la liberté et l’égalité, le tout assorti du devoir de réduire au minimum le tort causé à autrui. Au-delà du consensus minimal, il ne faut pas chercher à imposer une doctrine particulière ni compter sur l’État pour nous dire quoi penser. On doit donc être en mesure de vivre avec une certaine part d’incertitude et de doute.
En fondant la morale sociale sur la raison, Marco Bélanger est tout à fait kantien. Sa recherche doctorale, dirigée par la professeure Christine Tappolet, porte d’ailleurs sur le philosophe allemand et a pour but de résoudre le paradoxe de la philosophie de Kant, pour qui «devoir» implique «pouvoir»: le devoir d’agir moralement conduit obligatoirement à faire un geste conforme au principe moral.
Mais que faire lorsqu’on doit et qu’on ne peut pas? Voilà tout le problème de la philosophie de Kant. «Pour Kant, par exemple, ne pas mentir est un impératif catégorique. Cette règle conduit à dire la vérité même si celle-ci met la vie d’un proche en danger; si des assaillants recherchent un de vos amis caché chez vous, il faut leur dire la vérité. Kant ne prend pas en considération les conséquences du geste parce que cela apporterait de la variabilité dans l’agir moral.»
En tant que professeur de mathématiques (au collège Brébeuf), Marco Bélanger a été séduit par ce principe de «nécessité irréfutable» – un des fondements des mathématiques – qui peut donc s’observer jusque dans la philosophie morale. Son objectif est de résoudre la contradiction entre cette approche et les dilemmes moraux insolubles.
La pensée de Kant revêt à ses yeux un autre attrait: elle a fourni, avec les autres philosophies des Lumières, les bases d’une morale sans Dieu. «Avec Kant et Thomas Hobbes, on a cessé d’avoir besoin de recourir à la métaphysique pour répondre aux questions «Que puis-je connaitre?» et «Que puis-je faire?» Même si la démarche de Kant n’a de sens que dans la perspective d’une vie après la mort, faire le bien uniquement dans le but d’aller au ciel n’est pas, selon sa pensée, agir moralement.»
Un phare pour l’humanité
Marco Bélanger se dissocie toutefois de Kant sur la question de la conséquence de nos actes pour se rapprocher de la morale humaniste. En plus de se justifier rationnellement, l’agir moral doit «être appuyé par une sensibilité à autrui».
Même s’il affiche publiquement son athéisme, le chercheur ne considère pas que l’avènement d’une morale sans Dieu autorise les institutions sociales à faire la promotion de l’athéisme. «Toute ligne de pensée et toute croyance invérifiable ne peut faire partie du consensus minimal, affirme-t-il. Si les athées doivent réagir à toute invasion de la sphère publique par la religion – comme c’est le cas présentement aux États-Unis –, ce n’est pas pour promouvoir l’athéisme mais pour préserver le consensus commun.»
Il ne craint toutefois pas que la montée actuelle des intégrismes menace les fragiles acquis de la modernité et de la démocratie. «Les notions de justice, d’égalité et de dignité ont un grand pouvoir évocateur qui crée chez l’individu une motivation à l’action. Leur pouvoir est contagieux. Il peut y avoir des reculs, mais la démocratie va demeurer un phare pour l’humanité.»
Alors qu’on associe généralement la morale à la religion, le philosophe souligne qu’une morale purement humaniste ne se distingue pas, du moins dans l’action, d’une morale athée. La seule différence réside dans le motif de l’action. «L’athée n’agit que par sensibilité à autrui, déclare Marco Bélanger. Il existe sans doute une tendance naturelle à considérer que ce qu’on doit faire ou ne pas faire relève d’une autorité suprême, d’où le lien que la plupart établissent entre morale et religion. Mais il existe sans doute aussi une base biologique qui nous pousse à nous préoccuper d’autrui.»
À son avis, cette base ne serait toutefois pas suffisante pour expliquer la totalité des actes moraux. «La raison crée un monde culturel qui fournit ses propres justificatifs.»
Daniel Baril