Édition du 14 juin 2004 / volume 38, numéro 32
 
  L’Université appuie la réforme du CRSH… si l’argent suit
Les sciences humaines doivent reprendre la place qui leur revient

 Le présent texte constitue la prise de position de l’Université de Montréal à la suite de la consultation sur le projet de transformation du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Il émane d’un comité ad hoc composé de Marcelle Cossette-Ricard, Amaryll Chanady, Nicole Dubreuil, François Lepage, Marie McAndrew, Gregor Murray, Yves Murray et Pierre Noreau; Martin Blanchard agissait à titre de secrétaire.

Il convient d’affirmer d’emblée que les transformations que propose le document du CRSH ne font sens et ne sont envisageables que dans la perspective d’une augmentation notable des budgets du Conseil. Il y a unanimité pour constater que ces budgets sont d’ores et déjà insuffisants et qu’aucune transformation du mandat du Conseil ne devrait entraîner une diminution des sommes allouées aux Subventions ordinaires de recherche (SOR) ni se traduire par une baisse du financement des étudiants. Au contraire, une des priorités devrait être une majoration de ces deux postes budgétaires avant d’entreprendre toute nouvelle initiative.

Par ailleurs, la communauté a trouvé que le document du CRSH avait un aspect volontairement provocateur et l’a accueilli comme une saine remise en question des pratiques actuelles. Elle approuve sans réserve l’objectif fondamental de démontrer la pertinence des sciences humaines dans un monde où la technologie et la rentabilité immédiate sont omniprésentes. C’est donc dans une perspective positive que les remarques qui suivent ont été colligées et rédigées. Il faut les lire en gardant présent à l’esprit que la communauté des chercheurs en lettres, sciences humaines et sciences sociales est un milieu extrêmement diversifié et que l’élaboration d’un bon modèle pour les uns n’est pas nécessairement acceptable pour les autres. En outre, le secteur des sciences sociales inclut des disciplines "professionnelles" qui ont à faire face à des situations différentes de celles des disciplines plus "théoriques". Le comité était représentatif de cette diversité et le consensus qui se dégage ici ne saurait être interprété comme un accord unanime sur tous les modes de pratique suggérés. Bref, le consensus du comité porte également sur le respect de la diversité.[…]

Les valeurs

François Lepage

Le document du CRSH rappelle l’importance des valeurs traditionnelles qui déterminent les paramètres du financement de la recherche et nous réaffirmons notre adhésion à ces valeurs. Une des préoccupations de la plupart des intervenants à la lecture du document concerne le danger d’un tournant utilitariste dans le financement de la recherche en sciences humaines, mouvement que pourrait entraîner l’impératif de maximiser l’impact du savoir. Il faut sans nul doute reconnaître qu’une bonne partie des chercheurs subventionnés par le CRSH, en particulier en lettres et en sciences humaines, entreprennent des recherches dont la pertinence n’est pas perçue d’emblée par les décideurs politiques et par le grand public. Il ne faut alors pas tomber dans le piège qui consisterait à privilégier ce qui apparaît immédiatement utile. La recherche fondamentale n’a souvent que des retombées lointaines et difficilement prévisibles. Qui, il y a 15 ans, aurait osé affirmer l’utilité de se pencher sur la culture des Afghans? Qui aurait prédit l’importance que prennent les études longitudinales? L’apport des recherches en lettres, sciences humaines et sciences sociales réside souvent dans leur qualité prospective, qui est difficilement quantifiable. Par ailleurs, dans les secteurs de formation professionnelle, la recherche est bien davantage liée à l’élaboration de savoirs et de pratiques utiles aux praticiens. Une part importante des chercheurs mènent ainsi quotidiennement leurs travaux en partenariat avec divers milieux extérieurs à l’institution universitaire et ont déjà opéré une bonne partie des transformations que propose le CRSH. Ces chercheurs ne se reconnaissent pas toujours dans le bilan qui nous est proposé par le Conseil.

Il est vrai que, dans un contexte où les organismes subventionnaires ont eux-mêmes à justifier leur usage des fonds publics, les chercheurs doivent apprendre à rendre plus visible la pertinence souvent insoupçonnée de leurs travaux. Une foule de domaines pourraient ainsi profiter d’un partenariat avec les sciences humaines et les sciences sociales.

Un des rôles du CRSH serait justement de veiller à l’émergence de zones tampons entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Le CRSH doit maintenir une tradition forte en recherche fondamentale, basée sur l’excellence du travail intellectuel et sur la capacité d’invention et de prospection qui s’y manifeste.

Les initiatives stratégiques

Le fait que la recherche individuelle financée par les SOR doit demeurer le fer de lance de la recherche en sciences humaines n’est pas incompatible avec l’élaboration d’initiatives stratégiques. Nous reconnaissons l’existence de problèmes sociaux urgents et l’obligation de les comprendre et de les traiter. La détermination des orientations stratégiques devrait cependant faire appel à un vaste éventail d’acteurs en recherche. Il serait contre-productif d’exclure ceux qui auront à mener cette recherche des processus visant à la définir.

La constitution de réseaux

La création de réseaux de recherche est une question complexe. Nous pensons qu’elle devrait être le fait de chercheurs financés par des SOR. Des mesures incitatives comme une prime aux chercheurs qui se regroupent, un financement de la mobilité des chercheurs et des étudiants, etc., pourraient être envisagées. Ces incitatifs ne devraient toutefois pas influer sur le financement de base. Les initiatives imposées d’en haut sont perçues comme ayant un effet déstructurant sur les réseaux déjà existants qu’il faut, par ailleurs, continuer à soutenir.

Il faut également tenir compte des problèmes systémiques liés aux gros réseaux. Plusieurs intervenants ont en effet signalé que les réseaux peuvent devenir une fin en soi et mobiliser les meilleures énergies pour leur propre maintien et leur propre croissance. Ceci est à proscrire à tout prix. Un autre problème, associé à la largeur des réseaux, concerne leur lourdeur bureaucratique. Ils exigent du temps et beaucoup d’efforts de la part des chercheurs qui devraient plutôt se consacrer à leurs recherches. […] Les réseaux les plus efficaces seraient peut-être constitués de plus petites équipes ou de plus petits groupes.

Enfin, l’idée d’un centre d’échange pancanadien d’information (clearinghouse) qui permettrait aux chercheurs du pays de communiquer avec des collègues travaillant dans un domaine connexe au leur est perçue comme une excellente initiative. Il ne faut cependant pas obliger les chercheurs à travailler ensemble, par exemple en pénalisant ceux qui font cavalier seul avec les SOR.

[…]

Les structures de visibilité

Les chercheurs, surtout ceux qui travaillent en lettres et en sciences humaines, sont bien conscients de l’existence d’un problème de visibilité et de la difficulté de mesurer les retombées de leurs recherches, sauf peut-être, et cette conséquence est loin d’être négligeable, celle qui concerne la formation intellectuelle des étudiants. Si les avis sont partagés sur la pertinence, pour le CRSH, d’encourager la vulgarisation, il y a unanimité pour dire qu’il ne faut pas en faire un critère d’évaluation dans l’attribution des SOR. Plutôt que la vulgarisation, c’est la notion d’aide à la dissémination des recherches qui serait la plus pertinente.

Certains ont exprimé l’opinion que c’est le CRSH lui-même qui, ayant en main les dossiers des SOR et donc étant le seul à posséder une vision d’ensemble de la recherche en train de se faire, devrait avoir pour mission de la publiciser et d’en expliquer les grands enjeux, l’intérêt et l’utilité auprès de la collectivité canadienne et de ses représentants élus.

Créer des instituts à durée limitée – les problématiques changent et peuvent perdre assez rapidement leur pertinence – réunissant des chercheurs de grande réputation serait une excellente façon d’assurer une meilleure visibilité aux travaux effectués dans les humanités et dans les sciences sociales. Ces instituts devraient faire appel non seulement à des universitaires mais à tous les acteurs du milieu. Ils seraient composés d’équipes plus petites, celles-ci étant liées entre elles dans le réseau de l’établissement. […]

L’aide spéciale aux nouveaux chercheurs

Il y a consensus sur l’idée qu’il faut accorder une aide spéciale aux nouveaux chercheurs. Certains ont fait remarquer que le système actuel d’attribution des SOR ne semble pas les avantager et qu’il devrait y avoir une enveloppe fermée pour cette catégorie de chercheurs.

L’aide aux étudiants des cycles supérieurs et aux postdoctorants devrait être une priorité. Dans cet ordre d’idées, le saupoudrage (soit la distribution de sommes plus restreintes à un plus grand nombre de chercheurs) apparaît comme catastrophique pour ce qui concerne le financement des étudiants. Le problème des 4A ne doit pas être réglé de cette manière mais par une augmentation des budgets.

En revanche, valoriser les unités performantes (les «environnements de recherche») en mettant à leur disposition des bourses particulières, même si cela ne doit pas devenir le mode de financement privilégié, apparaît comme une initiative à retenir.

L’international

Le document du CRSH donne parfois l’impression que la recherche canadienne se pratique en autarcie. […] On ne saurait ici nier le problème de la langue: les anglophones ne lisent pas volontiers ce qui s’écrit en français et les pays francophones deviennent plus attrayants que le Canada pour plusieurs chercheurs québécois. Notre important voisin du Sud est par ailleurs presque absent du document. Il y a donc unanimité pour affirmer que le CRSH devrait accorder une plus grande attention à la collaboration internationale.

Conclusion

La communauté des chercheurs en lettres, sciences humaines et sciences sociales de l’Université de Montréal considère que les transformations proposées dans le document du CRSH ne sont attrayantes que dans le contexte d’une majoration notable du budget du CRSH.

Les initiatives nouvelles doivent s’appuyer sur le pilier que constitue le programme des SOR. De plus, elles doivent émaner de la communauté des chercheurs, surtout de ceux qui exercent un leadership intellectuel.

Le financement étudiant doit également demeurer à l’abri de toute diminution de budget.

Dans ces conditions, nous pensons que la transformation du CRSH sera bénéfique pour nos disciplines. Elle recueillerait très certainement l’appui d’un grand nombre de chercheurs, en particulier l’appui des chercheurs de l’Université de Montréal.

Voici le lien qui renvoie au document intégral: < www.mapageweb.umontreal.ca/lepagef/crsh.pdf >.



 
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