Édition du 14 juin 2004 / volume 38, numéro 32
 
  À la recherche des hommes de 110 ans
Le démographe Bernard Desjardins se rendra en Sardaigne

Avoir 100 ans, d’accord, mais 110 ans, voilà qui est difficile à imaginer. 

Au mois d’octobre prochain, le démographe Bertrand Desjardins se rendra en Sardaigne pour suivre une piste bien spéciale. Il y aurait sur l’île italienne une concentration anormalement élevée de supercentenaires, soit des individus âgés de 110 ans et plus. Fait exceptionnel: la majeure partie des Sardes qui atteignent cet âge vénérable seraient des hommes.

«Selon les données que les démographes ont pu vérifier, aucun homme n’aurait atteint l’âge de 110 ans au Canada, rapporte Bertrand Desjardins. Les seuls supercentenaires dont l’âge a été confirmé étaient des femmes.»

Contrairement à la croyance populaire, la longévité des femmes ne serait pas uniquement liée à des facteurs environnementaux. Certes, les hommes sont exposés à davantage de risques: ils conduisent plus et, jusqu’à récemment, ils fumaient plus et occupaient des fonctions plus stressantes. Mais il y a autre chose…

«Il semble exister une composante génétique ou biologique à la longévité des femmes, souligne le professeur Robert Bourbeau, directeur du Département de démographie et spécialiste de l’étude de la mortalité et de la longévité. Durant la première année de vie, la mortalité chez les garçons est plus élevée. Il semble aussi que les hormones féminines protégeraient les femmes, dans une certaine mesure, contre les maladies cardiovasculaires.»

Accueil prudent

Les chercheurs étaient sceptiques lorsque des médecins sardes leur ont présenté leurs données à l’occasion d’un colloque tenu à Montpellier en 1997. «On n’a pas été très tendres à leur égard, se souvient M. Desjardins. On a vu leurs tableaux, on a constaté qu’il s’agissait principalement d’hommes et, tout de suite, on a cru qu’ils avaient commis une erreur. On leur a conseillé de retourner faire leurs devoirs.»

Il faut savoir que l’histoire de la démographie est truffée d’épisodes où l’âge des habitants de certaines régions a été gonflé, pour toutes sortes de raisons. Un cas typique est celui de la Géorgie, une république de l’ex-URSS où est né Staline. Pour rendre hommage à l’homme politique, on parlait abondamment des «très vieux» Géorgiens dans les livres d’histoire. Depuis, les données ont été vérifiées et ces vieillards ont pris un coup de jeune.

«On est souvent confrontés à des mythes comme celui-là, raconte M. Desjardins. Ce n’est pas toujours de la mauvaise volonté. Dans certains pays, il n’existe pas de registres organisés des naissances. On se fie aux souvenirs des individus pour estimer l’âge du décès. Au départ, on pensait que c’était le cas pour la Sardaigne. Mais après la vérification des données statistiques, on a pu dire qu’on avait affaire à quelque chose de sérieux. Étant donné que les Sardes baptisent les nouveau-nés, on possède des registres assez fiables.»

Bertrand Desjardins, qui agit maintenant comme conseiller dans le projet sarde, ne sera pas seul à visiter l’île. Des généticiens, des nutritionnistes, des sociologues et des historiens du monde entier participent aussi à la recherche. Essentiellement, ils espèrent comprendre pourquoi les Sardes vivent si longtemps. Est-ce en raison de leur alimentation ? de leur bagage génétique? L’air qu’ils respirent est-il meilleur? La preuve reste à faire. De son côté, M. Desjardins compte revérifier et valider les informations sur l’âge des habitants.

Le secret de la longévité

La Sardaigne n’est pas la seule région géographique qui intéresse les démographes de l’Université de Montréal. Responsables de la participation canadienne à un projet international qui vise à établir une banque de données sur les cas de longévité extrême, ils sont en contact avec des représentants de tous les coins du monde où des cas intéressants sont

répertoriés. À l’occasion de la rencontre annuelle de ces chercheurs, qui se tiendra en juin au Japon, M. Desjardins compte visiter la région d’Okinawa, où les individus vivraient plus longtemps qu’ailleurs. «On sait que les Japonais s’alimentent particulièrement bien, mais ceci n’explique pas pourquoi la longévité serait plus élevée dans un secteur bien précis.»

Comme l’explique le professeur Bourbeau, ce type de recherches aura beaucoup plus de retombées que les simples anecdotes. En effet, d’un point de vue pratique, les études serviront aux actuaires pour mieux estimer la durée de vie des assurés et des retraités. «Les compagnies d’assurance vie tout comme les régimes publics de santé et de retraite pourraient se trouver dans une situation financière difficile s’ils sous-estiment l’espérance de vie des bénéficiaires de leurs programmes. Les gens vivent de plus en plus vieux. Il faut documenter ce phénomène et mieux comprendre ce qui l’influence si l’on veut faire de meilleures projections.»

Mais selon M. Desjardins, une visée beaucoup plus fondamentale motive les chercheurs qui participent à ce genre de recherches. «Personne ne l’admettra ouvertement, par peur du ridicule. Toutefois, quelque part au fond d’eux-mêmes, les scientifiques qui collaborent avec nous rêvent tous de découvrir le secret de la longévité et, pourquoi pas, de l’immortalité.»

Dominique Forget

Collaboration spéciale



 
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