Édition du 14 juin 2004 / volume 38, numéro 32
 
  Ados fugueurs: fuir la famille ou partir à l’aventure
Marie Robert cherche à comprendre les motivations des fugueurs

Partir, mais vers quels horizons et pour quelles raisons?

Qu’est-ce qui distingue un jeune fugueur d’un autre jeune fugueur? Les travaux de Marie Robert, chercheuse au Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention, viennent éclairer la dynamique de la fugue chez les adolescents. Il y aurait deux profils types de fugueurs: les fly to (ceux qui partent vers la nouveauté et l’aventure) et les fly from (ceux qui fuient la maison familiale). «La rue ne représente pas la même chose pour tous les fugueurs. Pour certains, c’est l’aventure. Pour d’autres, c’est un refuge», explique Marie Robert. Elle a d’ailleurs publié un article sur ces deux profils types dans la revue Child Abuse & Neglect, en février.

Plus impulsifs, les fugueurs du premier groupe, les fly to, sont majoritairement des garçons atteints de troubles du comportement – délinquance mineure, consommation de drogue – et qui possèdent un réseau de pairs déviants. Le second profil, les fly from, englobe les jeunes filles qui subissent des mauvais traitements à la maison, mais qui ne souffrent pas de troubles de conduite et dont le réseau n’est pas déviant. Dans les centres jeunesse, ils sont pourtant traités de la même manière. «L’orientation est donc ici problématique. Avec le risque que le problème de maltraitance soit occulté, qu’on fasse comme s’il n’existait pas, dans un encadrement inadéquat», souligne la chercheuse.

Dans une vaste étude de cohorte, Marie Robert s’est plus particulièrement attachée au volet «fugue, itinérance et insertion socioprofessionnelle». Ses données ont été collectées auprès de 130 adolescents fugueurs, de 12 à 17 ans, issus de quatre centres jeunesse du Québec (Côte-Nord, Estrie, Montréal, Québec). Elles portent sur les 12 mois précédant la prise en charge, la période durant laquelle les jeunes ont fugué.

Mauvaise relation avec les parents, abandon scolaire, la chercheuse a tenu à examiner les dimensions personnelle, familiale et sociale de la vie de ces adolescents pour tenter de déterminer quels facteurs expliqueraient la fugue. Les jeunes et leurs parents ont rempli plusieurs questionnaires destinés à retracer les événements importants survenus au cours de l’année précédente. Marie Robert a ainsi mis au jour les deux profils caractéristiques qui englobent 82 % des jeunes fugueurs.

Fuir la maison et sa violence

L’un des facteurs dans sa ligne de mire est la violence parentale. De manière générale, les parents déclarent moins les gestes d’agression et ont tendance à minimiser leur violence. «Il existe un écart entre les témoignages des adolescents et ceux de leurs parents. Les données parentales montrent un taux de violence inférieur à celui déclaré par les jeunes», dit Marie Robert. Malgré tout, et sans surprise, lorsqu’elle compare les fugueurs avec les non-fugueurs, elle relève plus de violence déclarée par les parents et les adolescents dans les foyers que les jeunes quittent.

Utilisant la Conflict Tactics Scale (une méthode de calcul couramment employée en psychologie), le groupe de recherche a tenté d’évaluer le niveau de violence. Premier constat: des coups au dénigrement, deux formes de violence cohabitent. «La violence psychologique et la violence verbale vont de pair. Dans les milieux violents, les jeunes subissent souvent les deux en même temps», précise Marie Robert. Ces familles sont toutefois elles-mêmes issues d’une population à risque où règnent des problèmes d’ordre affectif, socioéconomiques, de consommation de drogue, etc.

Pour les garçons, c’est l’influence des pairs qui va constituer un facteur déterminant dans la décision de partir de la maison. «Cela peut être un ami ou un réseau d’amis qui présentent le même profil. Ce n’est pas avec eux que l’adolescent fugue, mais ils exercent un grand ascendant sur le jeune.» Cette influence des pairs, qui affichent les mêmes comportements de délinquance, se manifeste par de petits méfaits ou par des gestes plus graves – vols, voies de fait, agressions – lorsqu’ils sont liés à des problèmes de consommation de drogue ou d’alcool.

Deux clientèles pour une prise en charge

Contrairement aux garçons, les filles sont avant tout des victimes d’abus. Ce phénomène peut entraîner des problèmes dans les centres jeunesse. «Les centres jeunesse ne reconnaissent actuellement qu’un motif de prise en charge: les troubles du comportement. Les jeunes filles maltraitées ne méritent pas qu’on leur colle cette étiquette», souligne la chercheuse.

Pour les délinquants, les services existants sont adéquats. Pour les victimes d’abus, le centre devrait offrir une prise en charge plus adaptée avec des services de conseils – pour rendre autonome la jeune fille –, d’insertion et de suivi thérapeutique.

Surtout que Marie Robert note une transformation de la société, qui lui fait croire à une hausse possible de la tendance à la fugue chez les jeunes. «Les adolescents sont responsables plus tôt et reçoivent un encadrement parental minimal. Ils cherchent la maison ailleurs, ils la quittent pour trouver mieux ou ils s’en vont parce qu’ils ont trop mal.»

Isabelle Burgun

Collaboration spéciale



 
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