Édition du 14 juin 2004 / volume 38, numéro 32
 
  Révolution tranquille en Lettonie
La présidente Vaira Vike-Freiberga reçoit la médaille Édouard-Montpetit

Vaira Vike-Freiberga

La situation linguistique de la Lettonie se compare à celle du Québec de la Révolution tranquille, affirme la présidente du pays, Vaira Vike-Freiberga. Après cinq décennies d’occupation russe et de contrôle de l’économie par des russophones, «le letton a retrouvé son droit de cité en Lettonie», dit la présidente. Depuis l’indépendance, en 1991, «c’est une véritable révolution tranquille qui a eu lieu dans notre pays, comme celle dont j’ai été témoin au Québec à la fin des années 60.»

Le 8 juin, Mme Vike-Freiberga était de passage à l’Université pour recevoir la médaille de la Fondation Édouard-Montpetit. Celle qui a enseigné la psychologie à l’UdeM pendant 33 ans a profité de l’occasion pour rendre hommage à son pays. «Il y a quelques jours, a-t-elle évoqué, on soulignait le 60e anniversaire du jour J, prélude à la libération de l’Europe. Mais cette libération n’a pas été celle de toute l’Europe, dont une grande partie est demeurée derrière le rideau de fer. La Lettonie, comme les deux autres républiques baltes, n’a recouvré son indépendance qu’après un demi-siècle d’oppression totalitaire.»

Un parcours impressionnant

De l’Université au château de Riga, qui lui sert de résidence officielle, le parcours de cette femme est impressionnant. Dans sa présentation, le recteur Robert Lacroix n’a pas manqué de le souligner. «En 125 ans, nous avons bien sûr formé quelques chefs d’État, dont le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau est sans doute le plus illustre, a-t-il dit. Mais avant Mme Vike-Freiberga, il n’y avait pas d’exemple, que je sache, d’un de nos professeurs ayant accédé aux plus hautes fonctions à l’étranger. Le cas est unique. Mais la femme elle-même est unique.»

Son parcours, a rappelé le recteur, a suivi les soubresauts de l’histoire du 20e siècle. Fuyant la Lettonie avec sa famille pendant la Seconde Guerre mondiale, elle se réfugie au Canada au milieu des années 50. Après des études à l’Université de Toronto et à McGill, où elle reçoit le titre de docteure en psychologie, elle devient professeure à l’UdeM en 1965. Le professeur Franco Lepore, qui a assisté à ses premiers cours, affirme qu’elle masquait son extrême timidité derrière un air sévère qu’il prenait plaisir à troubler: «Je m’assoyais en avant et je la fixais jusqu’à ce qu’elle devienne toute rouge», raconte-t-il d’un air amusé.

Présidente d’un très grand nombre d’organismes, dont la Société canadienne de psychologie et l’Académie des lettres et des sciences humaines du Canada, Vaira Vike-Freiberga, qui s’illustre par ses travaux en psychopharmacologie, s’intéresse également à la culture lettone et particulièrement au folklore de son pays. «On dit parfois que les universités sont des tours d’ivoire, mentionne-t-elle en entrevue. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. L’université est un lieu privilégié pour les individus qui ont des inclinations intellectuelles. Mais il est important que les professeurs, à côté de leurs travaux de recherche, puissent demeurer en contact avec la société et rayonner à l’extérieur de l’établissement. Si l’Université de Montréal n’avait pas été ouverte à ce rayonnement de ses professeurs, je ne serais pas présidente de la Lettonie aujourd’hui.»

À sa retraite de l’Université, en 1998, Vaira Vike-Freiberga se voit offrir la direction de l’Institut de Lettonie, un nouveau centre consacré à la diffusion de la culture lettone. Déjà connue de l’intelligentsia nationale en raison de ses recherches sur le folklore, et notamment les chants traditionnels, les dainas, elle accorde des entrevues à la radio et à la télévision, ce qui permet au grand public de la découvrir. Un an plus tard, elle devient présidente de la jeune démocratie de 2,3 millions d’habitants et la première femme à accéder à la tête d’un pays d’Europe centrale et orientale. Très populaire, elle verra son mandat renouvelé quatre ans plus tard, en 2003.

Le débat sur la langue

La présidente détient surtout un rôle de représentation, le pouvoir étant concentré entre les mains du Parlement. Mais cela ne l’empêche pas d’intervenir dans le débat sur la langue. Même si elle s’est opposée à ceux qui se montraient trop pressés d’imposer le letton à la minorité russe, qui représente 30 % de la population – épousant ainsi les valeurs du multiculturalisme canadien –, elle défend avec ardeur sa langue nationale. «Sous l’occupation, les Lettons devaient apprendre le russe pour obtenir un emploi, mais les Russes n’apprenaient pas le letton. Maintenant, on exige la connaissance du letton pour toute personne qui travaille auprès du public. Cela provoque encore la controverse et certains russophones souhaiteraient que le russe ait un statut de deuxième langue officielle. Mais on ne peut faire cela sans perpétuer une situation de colonisation et de domination du russe.» Il ne s’agit pas pour autant d’interdire le russe, souligne la présidente, rappelant la force des institutions, écoles et théâtres russes en Lettonie.

Évoquant les beaux souvenirs de jeunesse que lui rappelle l’Université de Montréal, Vaira Vike-Freiberga affirme qu’elle n’aurait jamais pu s’imaginer, au temps où elle y enseignait, retourner un jour vivre dans son pays natal. «J’étais convaincue que l’Union soviétique allait finir par s’écrouler en raison de ses propres faiblesses – je l’ai même dit dans un discours en 1968 –, mais je ne pouvais pas croire que la Lettonie retrouverait son indépendance de mon vivant.»

Après la restauration d’une économie de marché, la Lettonie a connu l’une des plus fortes croissances (7,5 %) des pays de l’Europe centrale et orientale au cours des dernières années, «une croissance qui doit demeurer élevée, car le revenu moyen est encore bien en deçà de la moyenne européenne», note la présidente. Cette dernière confie qu’elle a vécu un moment de très grande émotion le 1er mai dernier, quand le drapeau de la Lettonie a été hissé à Dublin avec les autres drapeaux des États membres de l’Union européenne. «Enfin, l’Europe est unie, enfin les séquelles de la guerre sont effacées, dit-elle. Il faut maintenant songer à un avenir de paix, de prospérité et de croissance pour l’Europe et pour le monde.»

Marie-Claude Bourdon



 
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