Édition du 14 juin 2004 / volume 38, numéro 32
 
  Quel avenir pour l’Europe?
Panayotis Soldatos s’interroge sur l’avenir constitutionnel du Vieux Continent

Panayotis Soldatos

Depuis le 1er mai dernier, l’Europe des 15 est devenue l’Europe des 25. L’adhésion des 10 nouveaux États membres – la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, ainsi que la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, Chypre et Malte – constitue le plus grand élargissement de l’histoire de l’Union européenne. Cette intégration survient toutefois dans une atmosphère de cacophonie: non seulement le nombre de langues officielles passe de 11 à 20, créant d’énormes problèmes de traduction au sein du Parlement européen, mais, en décembre 2003, les États membres n’ont pu s’entendre sur le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe, déposé quelques mois plus tôt par la Convention sur l’avenir de l’Europe. C’est ce mois-ci, plus précisément au Conseil européen les 17 et 18 juin, à Bruxelles, qu’un accord de la dernière chance pourrait être conclu.

«On devait s’entendre sur le projet de constitution avant de procéder à l’élargissement, et non l’inverse», dit le professeur du Département de science politique Panayotis Soldatos, observant qu’il est plus difficile de parvenir à une entente lorsqu’on est plus nombreux autour de la table. Selon lui, l’Europe n’était pas prête à accueillir tous ces nouveaux membres. «Dans un premier temps, on aurait pu leur offrir un partenariat plutôt qu’un véritable membership. Et puis procéder par étapes. Mais, depuis 1989, on assiste à une véritable accélération de l’histoire.»

Un projet de constitution

Observateur passionné de la scène politique européenne, Panayotis Soldatos vient de faire paraître, en collaboration avec Christian Philip, recteur de l’Université Jean-Moulin – Lyon III, La Convention sur l’avenir de l’Europe, une collection d’essais visant à éclairer et à démythifier les enjeux entourant ce projet de constitution. En quoi celui-ci se distingue-t-il des traités qui lient déjà les pays européens? Sans être un État fédéral, l’Europe est plus qu’une organisation internationale, explique le professeur Soldatos. «Au lieu de rédiger plusieurs traités très complexes, le but était de proposer un projet constitutionnel intelligible pour les citoyens.» Les institutions européennes, pensées pour un regroupement de six pays, avaient également besoin d’un dépoussiérage majeur. Enfin, on souhaitait donner une impulsion politique au projet de l’Union européenne. «Quand on parle de constitution, même si, au sens strict, il s’agit d’un traité, on utilise un langage symbolique qui vise le rapprochement», poursuit le professeur. Une charte des droits fondamentaux comportant des volets politique, économique et social qui s’appliquerait à l’ensemble des citoyens faisait d’ailleurs partie des pièces maîtresses du projet de constitution.

Ce projet, qui selon Panayotis Soldatos «représentait déjà un compromis», a été rejeté, faute d’obtenir l’unanimité requise pour son adoption. «Au début, c’est un clivage entre grands et petits États qui a fait obstacle. Les petits États craignaient que les grands accaparent les postes clés prévus dans le projet de constitution: ceux de président du Conseil européen et de ministre des Affaires étrangères.» Puis, c’est la proposition de réduire de 25 à 15 le nombre de commissaires disposant du droit de vote qui a posé problème, ainsi que le nouveau système de pondération des voix, qui prévoit qu’une décision devra remporter l’adhésion de la majorité des États représentant 60 % de la population pour être adoptée. Désavantagés par ce système, des pays comme l’Espagne et la Pologne ont protesté.

Pas assez loin

Pour ceux qui pensent que ce projet n’allait pas assez loin dans le sens du fédéralisme, il n’était pas possible de faire davantage de compromis, explique le professeur, qui reste convaincu que les États membres doivent donner leur aval à ce projet. «Si l’Europe n’arrive pas à se doter d’une politique sociale commune, si l’Europe ne parvient pas à avoir une politique internationale cohérente, elle risque d’être réduite à un espace économique de libre-échange. Or, dans un monde marqué par l’unilatéralisme américain, il est primordial que l’Europe puisse faire front commun.»

Malgré le risque de désengagement des citoyens, malgré la tiédeur des Britanniques et les courants europhobes qui traversent d’autres pays européens, l’Union va continuer de s’accroître, affirme Panayotis Soldatos. L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie est déjà prévue pour 2007. En décembre prochain, on doit décider si l’on ouvrira les négociations avec la Turquie en vue de son incorporation. «Certains s’y opposent parce que la Turquie n’a qu’une partie de son territoire en Europe, à cause de sa croissance démographique qui fait peur et de ses frontières avec le Moyen-Orient. On se demande aussi si l’Europe a les moyens économiques d’intégrer la Turquie. Tout cela pose des difficultés. Mais si le cas turc est réglé, on aura à faire face, dans 10 ou 15 ans, à la candidature de la Russie.»

Le projet de traité sera-t-il adopté ce mois-ci? Pour Panayotis Soldatos, il s’agit d’une étape nécessaire afin d’envisager l’avenir d’une façon cohérente. «Il faut espérer que les nouveaux pays qui viennent de se joindre à l’Europe apportent du sang neuf et permettent de faire progresser les choses.» Le professeur, qui prend sa retraite de l’Université, où il enseigne depuis 1976, sera bien placé pour observer le processus de refondation de l’Europe. Titulaire d’une chaire Jean-Monnet ad personam (dont il garde la charge peu importe son lieu d’attache) à la Faculté de droit de l’Université Jean-Moulin – Lyon III, il y assurera également les fonctions de directeur du Centre d’études européennes. Il continuera aussi de recevoir des étudiants québécois à l’Université européenne d’été de Lyon, où se retrouvent chaque année des jeunes de plusieurs nationalités passionnés comme lui par les questions de droit international.

Marie-Claude Bourdon



 
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