Édition du 14 juin 2004 / volume 38, numéro 32
 
  Mourir par erreur à l’hôpital
7,5 % des hospitalisations mènent à des «événements indésirables»

Régis Blais

Hémorragie intestinale non traitée entraînant la mort du patient; vessie perforée pendant un examen gynécologique de routine; lacération d’une vertèbre cervicale au cours d’une chirurgie; congé donné prématurément à un patient qui chute et qui subit de multiples fractures; ablation des ovaires d’une patiente non consentante durant une hystérectomie…

Ce ne sont là que quelques exemples d’«événements indésirables» qui sont survenus dans les hôpitaux canadiens dans le courant de l’année 2000. Au total, selon une équipe de recherche dirigée par Ross Baker, de l’Université de Toronto, 7,5 % des 2,5 millions d’admissions annuelles se terminent par un ou plusieurs de ces "événements indésirables" qui vont du prolongement du séjour à l’hôpital à l’incapacité permanente et même à la mort. En effet, sur les 185 000 victimes de ces événements, des milliers ne s’en remettront jamais. «Nos résultats suggèrent que […] de 9250 à 23 750 décès auraient pu être évités», dit l’article publié dans l’édition du 25 mai du Journal de l’Association médicale du Canada.

C’est au cours d’opérations chirurgicales que surviennent le plus de ces accidents puisque plus du tiers s’y rapportent. Les effets inattendus des médicaments arrivent en deuxième place. «Il n’y a pas plus de cas ici qu’ailleurs, mentionne Régis Blais, professeur au Département d’administration de la santé et responsable du volet québécois de cette étude. Comparé à d’autres pays qui ont procédé à des études similaires, le Canada s’en tire même plutôt bien.»

Par exemple, en Angleterre, selon des travaux menés en 2000 dans deux hôpitaux, le taux serait de 10,9 %. En Nouvelle-Zélande, la proportion est de 12,9 % et en Australie de 16,6 %.

«Indésirable» et «évitable»

Avant que les médias s’emparent des résultats et confondent «événements indésirables» et «erreurs médicales», les chercheurs ont insisté sur le sens des mots. «Un événement indésirable n’est pas toujours évitable, explique Régis Blais, qui est rattaché au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS). Ainsi, dans le cas d’un patient qui succombe à une allergie à la pénicilline alors qu’il ignorait y être allergique, le décès n’est pas imputable à une erreur médicale. Dans le cas d’une infirmière qui interprète mal la prescription du médecin parce que celle-ci est mal écrite, c’est différent. On parle alors d’un événement évitable.»

Les chercheurs ont tout de même calculé que plus du tiers des événements indésirables auraient pu être évités. «C’est beaucoup», concède M. Blais.

Autre résultat étonnant: le taux d’événements indésirables grimpe à 10,8 % dans les hôpitaux universitaires. On s’expose donc davantage si l’on se présente dans ces hôpitaux spécialisés? «Les événements indésirables y sont plus nombreux parce que les cas sont plus lourds, répond prudemment M. Blais. Cette donnée paraît normale, car les hôpitaux régionaux dirigent leurs patients dont les cas sont les plus complexes vers ces hôpitaux.»

Mais le professeur ajoute que les centres hospitaliers multidisciplinaires ont les défauts de leurs qualités. Le cardiologue, le néphrologue, le radiologiste, le pneumologue et les autres spécialistes qui se succèdent au chevet des malades peuvent avoir des lacunes sur le plan communicationnel. «C’est comme s’il y avait trop de chefs autour de la même soupe.»

De nombreux problèmes de transmission de l’information pourraient être évités, selon M. Blais, si l’on appliquait sans tarder la technologie de la carte santé informatisée. «Avec un seul dossier, le médecin traitant pourrait accéder à l’ensemble des antécédents du patient plutôt qu’à une partie. On réduirait ainsi un grand nombre d’erreurs dues à la simple circulation de l’information.»

La controverse autour du dossier médical informatisé s’appuie sur des mauvaises prémisses, estime le professeur Blais. «Les gens pensent que l’État ou l’employeur pourraient mettre leur nez dans nos affaires personnelles. Il y a moyen d’éliminer ce problème tout en bénéficiant d’avantages considérables au chapitre de la santé publique.»

Méthodologie éprouvée

La méthodologie utilisée dans le protocole canadien, inspiré de celui créé par la Harvard Medical School en 1984, a prévu un échantillon de 20 hôpitaux dans cinq régions canadiennes: Colombie-Britannique, Alberta, Ontario, Québec et Nouvelle-Écosse. Une première sélection de dossiers, au hasard, comptant 230 cas dans les grands hôpitaux et 142 dans les petits (moins de 100 lits) a été présentée à une équipe d’infirmières de recherche. Ont été exclus les cas psychiatriques et obstétriques, ainsi que les patients de moins de 18 ans.

Prescrire le mauvais médicament peut s’avérer très dangereux.

Sur les 3745 dossiers retenus, on a sélectionné ceux qui présentaient au moins 1 des 18 indices de la présence d’un événement indésirable, de l’arrêt cardiaque à une nouvelle hospitalisation imprévue. Par la suite, des médecins ont analysé ces dossiers pour déterminer, sur une échelle de 1 à 6, le caractère évitable de chaque cas. Deux médecins de l’Université de Montréal, Richard Clément et Édouard Bastien, ont participé à la recherche.

Comment les hôpitaux ont-ils accueilli l’idée de laisser des chercheurs fouiller dans leurs archives à la recherche d’erreurs médicales? «Très bien, répond Régis Blais. Au Canada, un seul hôpital a refusé. Et il n’était pas au Québec.»

Cette collaboration s’est toutefois déroulée dans des conditions définies. Les chercheurs ont assuré aux directeurs généraux la plus totale confidentialité de traitement. Non seulement les noms des patients ont été effacés mais aucun hôpital n’a été nommé et la banque de données s’est créée de façon à empêcher toute comparaison interprovinciale. Et lorsqu’on demande à Régis Blais de nommer un seul hôpital qui a participé à l’étude, il reste muet. Secret professionnel. «Ce n’est pas en désignant les coupables qu’on fait avancer les choses, commente-t-il toutefois. La chasse aux sorcières ne peut mener qu’à une réaction de repli. Les responsables vont se cacher.»

C’est aux Instituts de recherche en santé du Canada qu’on doit l’idée de cette étude, rappelle-t-il. Ross Baker, le responsable du projet qui a bénéficié d’une subvention de 800 000 $, a fait appel au chercheur du GRIS en raison de son expertise dans le domaine des complications postopératoires. Au cours de l’étude, qui s’est déroulée sur les deux dernières années, le rôle de M. Blais a consisté à coordonner le travail de l’équipe québécoise et à faire approuver le protocole là où les comités d’éthique l’exigeaient.

Mathieu-Robert Sauvé


 
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