Édition du 20 septembre 2004 / volume 39, numéro 4
 
  La pollution industrielle laisse des traces dans les moules
Les chercheurs du GRIL utilisent le mollusque comme «espèce sentinelle»

La pollution industrielle a un impact considérable sur les lacs.

Dans les régions minières, les panaches des cheminées industrielles libèrent dans l'atmosphère différents métaux qui se répandent dans les lacs. Tous ne sont pas également toxiques. Le nickel, le plomb, le zinc et le cuivre le sont moins que le cadmium, presque aussi toxique que le mercure. Le cadmium s'accumule dans les sédiments des lacs et peut avoir des effets néfastes sur les invertébrés.

Pour mesurer le niveau de contamination de l'eau par le cadmium, l'équipe de Bernadette Pinel-Alloul, chercheuse au Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie et en environnement aquatique (GRIL) et professeure au Département de sciences biologiques, a choisi comme espèce sentinelle Pyganodon grandis, la grande moule d'eau douce, qui filtre l'eau et retient ainsi le cadmium. L'équipe a adopté une approche à plusieurs échelons biologiques, de la cellule aux populations.

Olivier Perceval, étudiant au doctorat, s'est intéressé à l'état de santé des populations de bivalves (densité, biomasse, taux de croissance, productivité, etc.) soumises à différentes concentrations de cadmium. «Lorsque la concentration ambiante de cadmium est élevée, les bivalves sont moins nombreux et se reproduisent moins bien», résume le jeune chercheur.

Dans les lacs les plus contaminés (lacs Vaudray et Heva), la densité des bivalves était de 0,03 individu par mètre carré mais pouvait atteindre 1,5 individu par mètre carré dans les lacs non contaminés (lac Opasatica).

Une protéine précieuse

Parmi les métaux toxiques présents dans l'environnement, le cadmium inquiète d'autant plus que ses effets sont difficiles à mesurer. Une protéine, la métallothionéine, pourrait bien donner un coup de pouce aux écologistes.

«Avec ce marqueur biologique ou biomarqueur, il est possible d'estimer le cadmium biodisponible dans un lac, de mesurer ses effets toxiques potentiels et de faire une corrélation avec le niveau de contamination ambiant», explique Bernadette Pinel-Alloul, coauteure du chapitre «La métallothionéine: un biomarqueur d'exposition au cadmium pour les invertébrés d'eau douce», paru récemment dans le livre Écotoxicologie moléculaire aux Presses de l'Université du Québec.

On avait déjà testé les effets toxiques du cadmium sur plusieurs espèces de bivalves en laboratoire. Restait à les évaluer en milieu naturel, ce à quoi cette étude s'est employée. Cette protéine permettra donc de mieux cerner le potentiel toxique d'un contaminant métallique, ce qui se révèle impossible en étudiant simplement son accumulation dans les sédiments.

La métallothionéine fixe les métaux, ce qui les rend non disponibles pour l'organisme et limite ainsi leur toxicité. Mais en deçà d'une certaine concentration, cela peut créer un effet de débordement dans les cellules. «Une trop forte concentration de cadmium dissous provoque une toxicité cellulaire entraînant des conséquences sur les organismes eux-mêmes avec un ralentissement de la croissance et même de la fécondité», ajoute la professeure. Lors d'une surcharge d'ions métalliques, on assiste à la dégradation des membranes cellulaires par peroxydation, ce qui peut provoquer des altérations et même des nécroses au sein des organes, comme les branchies.

Sans compter une possible bioaccumulation chez les oiseaux ou les mammifères aquatiques, comme le montre l'étude de Louise Champoux, du Service canadien de la faune, «Le plongeon huard contaminé par le mercure» (www.qc.ec.gc.ca/faune/faune/html/huard.html). Une piste qui n'a pas été encore établie du côté des animaux qui consomment des bivalves. «Les rats musqués mangent des moules, mais ils restent très difficiles à échantillonner», relève la chercheuse.

Facteurs confondants

Malgré toutes ces données, la relation entre la contamination et la faune est moins nette qu'elle en a l'air. «La réponse n'est pas aussi claire que prévu. Cela nous montre qu'il s'agit d'un problème plus difficile à étudier en milieu naturel qu'en laboratoire», soutient Bernadette Pinel-Alloul.

Ainsi, chez les moules d'eau douce, le cycle de vie se révèle complexe. La reproduction s'effectue en plusieurs étapes, dont un stade larvaire qui parasite les branchies des poissons, ce qui favorise leur dispersion dans les lacs. Une forte mortalité juvénile engendre une faible densité des populations adultes qui réduit d'autant les capacités de reproduction.

Mais d'autres surprises attendaient les chercheurs. Les nombreux facteurs environnementaux comme la dureté de l'eau ont souvent un effet antagoniste qui limite la bioaccumulation du métal parmi les organismes. «Nous n'avons pas réussi à établir un lien direct clair entre l'accroissement de la toxicité et la baisse de la production des bivalves», observe Olivier Perceval. Des facteurs confondants (température de l'eau, disponibilité de la nourriture, etc.) sont susceptibles de brouiller les résultats. Dans ce cas-ci, c'est la chaleur accumulée dans la zone littorale des lacs au cours de l'été qui a eu un effet notable (et favorable) sur la production des moules.

Dominique Forget
Collaboration spéciale



 
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