Édition du 20 septembre 2004 / volume 39, numéro 4
 
  Immersion en droit chinois
Vingt-six étudiants en droit du Québec ont passé trois semaines sur les bancs d'une université chinoise

Le système juridique chinois offre peu de repères à un étudiant étranger.

«Souvent, ce qu'on lit sur le droit chinois, ce sont des Occidentaux qui l'ont écrit. Mais il ne faut pas considérer le droit chinois de notre point de vue d'Occidentaux, sinon on ne comprendra pas que cela puisse fonctionner», dit Geneviève Côté. L'étudiante, qui a terminé sa scolarité de maîtrise en droit, faisait partie du groupe des 26 étudiants qui ont participé à l'école d'été en Chine de la Faculté de droit. Ce programme, qui existe depuis 2002, a été mis sur pied en collaboration avec la prestigieuse China University of Political Science and Law et permet chaque année à des étudiants d'ici de se familiariser avec les principaux éléments du système juridique chinois. «Une telle expérience nous ouvre les yeux sur d'autres façons de gérer la société», ajoute Geneviève Côté.

Héritière d'une longue tradition juridique, la Chine procède depuis quelques années à une réforme complète de ses lois et de ses institutions judiciaires afin de répondre aux impératifs posés par l'Organisation mondiale du commerce. Mais il reste que le système chinois offre peu de repères à un étudiant étranger. «Il y a des différences qu'on a du mal à imaginer, poursuit Geneviève Côté. Par exemple, aujourd'hui, certaines personnes peuvent avoir des propriétés, souvent grâce à leurs relations. Mais dans les campagnes, les paysans peuvent ne pas être propriétaires des arbres fruitiers qu'ils cultivent depuis 20 ans!»

Patrice Blais, un étudiant au baccalauréat qui a également fait le voyage en Chine cet été, a surtout été frappé par la jeunesse des nouvelles institutions juridiques chinoises. «Si l'on regarde les textes de loi, on constate qu'ils ressemblent beaucoup plus aux nôtres que ce qu'on pensait, reconnaît-il. Il y a plusieurs éléments semblables. Mais il existe une différence notable dans l'application des lois et c'est là que nous avons une longueur d'avance. Par exemple, pour nous, la Constitution, c'est le document le plus important en droit, c'est comme la loi suprême du pays, alors que, pour les Chinois, c'est plutôt un document symbolique qui ne peut être invoqué devant les tribunaux.»

L'étudiant s'est aussi amusé à observer le droit dans la vie quotidienne: «Quand on se promène en taxi dans les rues, on s'aperçoit que les Chinois se soucient très peu de la réglementation.» Il s'est aussi rendu dans un McDonald's et a comparé les prix. «Les sandwichs coûtent la moitié du prix des nôtres, mais le salaire est de 1,25 $ l'heure, cinq fois moins élevé que le nôtre.»

Patrice Blais

Liberté d'expression

Les deux étudiants de l'UdeM ont trouvé particulièrement intéressantes les rencontres qui étaient organisées avec des étudiants chinois. Geneviève Côté a toutefois été déçue de sentir que la liberté d'expression de leurs interlocuteurs était limitée. «Dans les universités occidentales, nous sommes habitués à exprimer nos opinions. Nous avons le droit de ne pas être d'accord avec le professeur ou avec les politiques gouvernementales. On a par contre senti qu'il était beaucoup plus difficile pour les étudiants chinois d'exprimer le fond de leur pensée sur les mesures en vigueur dans leur pays.»

Patrice Blais dit que c'est au moments des pauses qu'il a eu les discussions les plus passionnantes avec des étudiants chinois. «Ils ont une aussi grande curiosité envers nous que nous envers eux. J'ai d'ailleurs recommandé aux responsables du programme que celui-ci puisse, à l'avenir, se dérouler en deux étapes afin que les étudiants chinois aient la chance de venir à Montréal après notre séjour à Beijing.» L'étudiant affirme qu'il ne s'est pas senti gêné de poser des questions délicates. «Ainsi, j'ai demandé aux étudiants que nous avons rencontrés ce qu'ils pensaient de la manifestation de la place Tianan men en 1989. De leur côté, ils ont voulu savoir si nous tolérions, au Canada, les membres du mouvement Falun Gong.»

Geneviève Côté

La politique de l'enfant unique

La politique de l'enfant unique a aussi suscité l'intérêt des deux étudiants québécois. Patrice Blais, qui prévoit adopter un enfant avec sa conjointe, s'y est intéressé pour des raisons personnelles. Geneviève Côté avoue avoir été étonnée de constater que cette mesure qui, à ses yeux, «impose beaucoup de contraintes à la liberté des familles» soit considérée par les Chinois «comme une façon normale et efficace de gérer leurs problèmes de société».

Le programme d'été, qui est aussi ouvert aux étudiants des autres universités québécoises, allie des cours de base en droit chinois et en droit chinois des affaires (les cours sont crédités) à un volet culturel et touristique qui permet aux étudiants de démystifier la civilisation chinoise. Des visites sont organisées à la Grande Muraille, au tombeau des Ming, à la Cité interdite, à la place Tianan men, au Grand Hall du peuple et dans le vieux Beijing. Les étudiants, qui étaient libres de se promener à leur guise, ont trouvé la communication avec les habitants difficile: ils ont dû commander des plats au hasard sur les menus des restaurants et n'ont jamais trouvé un chauffeur de taxi parlant anglais. Pour Patrice Blais, qui a été impressionné par «les rues de un mètre de largeur, grouillantes de monde», la Chine est sans contredit «l'un des endroits de la planète où le choc culturel est le plus important».

Louise Viau et Gérald Goldstein, professeurs à la Faculté de droit, accompagnaient les étudiants et étaient chargés des évaluations. Selon Louise Viau, l'expérience s'est avérée tout aussi enrichissante pour les professeurs que pour les étudiants: «On ne lit plus l'actualité de la même façon», dit-elle, ajoutant que la formation, intéressante sur le plan culturel, l'est aussi sur le plan des affaires, particulièrement pour les étudiants qui seront amenés à travailler pour des entreprises qui font du commerce avec la Chine.


Geneviève Côté, qui se spécialise en droit des affaires et qui voudrait se diriger vers le droit international, a ainsi découvert des aspects intéressants du droit chinois en matière d'arbitrage commercial. «C'est dans la culture chinoise d'éviter les conflits à tout prix. La notion d'arbitrage, chez eux, est donc très développée.» Quant à Patrice Blais, il souligne que «la Chine est l'une des puissances de demain» et qu'il est certainement utile de mieux la connaître. Mais il avait quand même «bien hâte de rentrer à la maison pour manger un bon steak...»

Marie-Claude Bourdon



 
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