Édition du 20 septembre 2004 / volume 39, numéro 4
 
  Les informaticiens jouent les superhéros
Un crack en informatique peut plancher cinq ans sur la meilleure manière de faire perler une goutte de sueur sur la joue d'un visage virtuel

Jean-François Saint-Amour, étudiant au Département d'informatique et de recherche opérationnelle, consacre ses études de maîtrise à la mise au point d'une technique infographique qui permettra de créer des ombres dynamiques sur les objets à trois dimensions.

Le local 2387 du pavillon André-Aisenstadt abrite certainement le laboratoire le plus ludique du campus. Assises sur les traités d'informatique, les figurines inspirées des studios d'animation de Dreamworks et Pixart observent le travail des chercheurs en souriant exagérément. Dans la salle attenante, on déballe la boîte de Lego qui vient d'arriver et l'on assemble des engrenages qui permettront de modifier le miniplateau de tournage où les héros de polymère vivront leur heure de gloire.

Bienvenue dans le laboratoire d'infographie de Pierre Poulin, où un crack en informatique peut consacrer jusqu'à cinq ans de sa vie à la meilleure façon de faire perler une goutte de sueur sur la joue d'un visage virtuel ou à la combustion spontanée d'une sphère suspendue dans le vide. «Quand vous regardez une image animée de quelques secondes, vous ne voyez que la pointe de l'iceberg, mentionne le directeur du laboratoire. Il y a souvent des années de travail derrière chaque scène et une masse inouïe de calculs mathématiques.»

Une pensée du cinéaste Jean-Luc Godard est affichée à l'entrée du laboratoire: «Il faut confronter des idées vagues avec des images claires.» Elle exprime à merveille le travail qui est accompli dans cette fourmilière où une dizaine d'étudiants à la maîtrise et au doctorat tentent de donner de plus en plus de réalisme aux images infographiques animées. «Le réalisme est le grand enjeu des chercheurs actuellement, signale le professeur Poulin, qui enseigne depuis 10 ans au Département d'informatique et de recherche opérationnelle. Même dans le cas des dessins animés où tout est virtuel, les personnages doivent avoir une façon naturelle de bouger. Le mouvement des genoux, des hanches et des épaules, quand ils se déplacent, doit être soigneusement étudié pour un rendu efficace.»

Shrek 2 plus réaliste

Pierre Poulin se fait un devoir d'aller voir des films d'animation grand public comme Histoire de jouets ou Shrek afin de connaître l'évolution des applications infographiques. Mais c'est plus fort que lui: ces images le ramènent à des montagnes d'équations. «Ça change à une vitesse grand V dans ce domaine. Il faut s'empresser de publier nos découvertes si nous ne voulons pas être doublés par un laboratoire des États-Unis ou du Japon.»

L'évolution de cette science est très évidente au cinéma, où les films d'animation infographique se multiplient. Entre Shrek, lancé en 2001 et qui a connu un succès populaire et critique (récoltant un oscar), et Shrek 2, qui a envahi les écrans en 2004, Pierre Poulin a noté une évolution considérable dans les techniques utilisées. Ce qui a changé? «La lumière», répond-il sans hésiter.

Le site de Dreamworks, producteur du long métrage, le confirme: les deux principales avancées technologiques d'une version à l'autre ont été réalisées au chapitre de la lumière. L'illumination globale, soit la façon dont les scènes sont éclairées virtuellement, et la transparence de la peau des personnages ont été grandement améliorées.

Pour produire un film comme Shrek, ce sont 275 artistes, programmeurs, informaticiens et ingénieurs qui ont mis la main à la pâte.

Depuis 17 ans, Pierre Poulin n'a manqué aucun congrès du SIGGRAPH, la réunion annuelle des 50 000 spécialistes mondiaux de ce domaine. À deux reprises, les résultats de ses travaux ont été publiés dans les actes du congrès, et l'une de ses études est régulièrement citée par des collègues internationaux, ce qui est une marque de reconnaissance. Il prépare un autre article qui traitera des ombres en infographie, un domaine beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.

Cinéma et jeux vidéo

Dans le laboratoire de Pierre Poulin, les projets de recherche sont diversifiés et peuvent trouver des applications tant au grand écran que dans l'industrie des jeux vidéo. «Un domaine très cool qui intéresse beaucoup d'étudiants», dit-il. La plupart des chercheurs qui travaillent avec lui ont eu la piqûre pour l'animation durant le cours d'introduction à l'infographie qu'il donne à la fin du programme de baccalauréat. Un cours reconnu pour sa difficulté mais qui ravit les plus doués.

Au cours d'une visite du laboratoire, Forum a pu assister à quelques démonstrations des travaux menés par ces chercheurs ludiques.

«Une structure peut apparaître beaucoup plus réaliste si on lui donne du relief», explique Jean-François Dufort, montrant un mur de brique virtuel qui semble en deux dimensions. En manipulant un curseur, le mur ressort tout à coup et l'on obtient une impression de profondeur.

Un autre étudiant à la maîtrise, Simon Clavet, présente quant à lui le résultat d'un imposant travail qui montre l'écoulement d'un liquide. Freiné ici et là par des structures qu'il crée et déplace à volonté, le liquide s'écoule selon la viscosité et l'adhérence qu'on lui donne. Plus de 75 paramètres sont pris en compte dans les calculs.

Jean-François Saint-Amour, de son côté, tente de résoudre le problème des ombres projetées par des objets statiques sur des objets mobiles.

Plus loin, Yannick Simard se penche sur le mouvement du double menton et des chairs flasques d'un personnage qui a nettement exagéré la consommation de poutines.

Dans un autre local, Emric Epstein tente de trouver une façon de recréer une image tridimensionnelle à partir d'un modèle photographié par une caméra vidéo à l'aide d'un jeu de miroirs.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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