Édition du 20 septembre 2004 / volume 39, numéro 4
 
  capsule science
Y a-t-il un marché pour les oeuvres d'art volées ?

Le 22 août dernier, au Munch Museet d'Oslo, en Norvège, l'un des tableaux les plus célèbres du monde, Le cri, d'Edvard Munch, était dérobé en plein jour, sous les yeux de visiteurs médusés.

Une fois le choc passé, les amateurs d'art ont été nombreux à se demander ce que pouvaient faire des voleurs avec un tel chef-d'oeuvre expressionniste. «La demande de rançon est une des possibilités, peut-être même la plus logique, car ce tableau est beaucoup trop connu pour apparaître dans une vente aux enchères importante», explique Lise Lamarche, professeure au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques.

La rançon avait été le mobile du vol d'un autre Cri (le tableau existe en quatre versions signées de la main de l'artiste) survenu il y a 10 ans à la Galerie nationale d'Oslo. Les voleurs avaient réclamé un million de dollars pour le rendre. Mais après trois mois d'enquête, la police norvégienne avait retrouvé le tableau intact dans un hôtel et mis la main au collet des quatre malfrats sans qu'ils aient touché une seule couronne.

Sans être une spécialiste du vol d'oeuvres d'art, un sujet qu'elle n'aborde que de façon indirecte dans ses recherches sur les établissements muséaux, Mme Lamarche a suffisamment étudié la question pour savoir que le vol d'oeuvres représente un problème sérieux dans le marché de l'art. On sait que des objets d'art dérobés passent régulièrement entre les mains des plus grands commissaires-priseurs chez Sotheby's ou Christie's. «Mais il s'agit surtout de pièces beaucoup moins connues», précise-t-elle.

Internet est également un réseau de choix pour écouler des oeuvres volées. On y conclut des transactions plus ou moins licites sans que les enquêteurs de la brigade spéciale de vols d'objets d'art et d'antiquités de Scotland Yard puissent intervenir. Mais encore là, la série des Nymphéas, de Monet, ou les Tournesols, de Van Gogh, ne sauraient s'échanger sans soulever l'indignation internationale. Et aucun musée sérieux ne se porterait acquéreur d'une toile reconnue volée.

D'ailleurs, il n'y a pas de recel sans receleur et l'acheteur d'une oeuvre d'art subtilisée doit avoir mis ses scrupules au vestiaire. C'est pourquoi plusieurs experts ont à l'oeil des mégalomanes multimillionnaires de l'industrie pétrolière, qui seraient une clientèle idéale pour ce marchéŠ noir. «Il arrive que de riches collectionneurs passent carrément une commande aux voleurs», affirme Mme Lamarche. Le seul but de ces amateurs nantis est de pouvoir offrir à la vue de leurs invités les toiles des grands maîtres et ils sont prêts à y mettre le prix.

Mais il ne faut pas croire que «cela n'arrive qu'aux autres». Au Service de police de la Ville de Montréal, un historien de l'art est affecté à temps plein au trafic d'oeuvres volées ou contrefaites. Le sergent détective Alain Lacoursière estime que 150 cas de vols et de contrefaçons d'oeuvres d'art sont rapportés chaque année, ce qui représente un marché de 25 M$ (selon le bulletin de la Société des musées québécois de janvier 2000). Le diplômé de l'Université de Montréal réclame d'ailleurs des modifications à la loi actuelle, qui prévoit que les tableaux acquis de bonne foi demeurent la propriété de leurs acquéreurs, et ce, même s'ils ont été dérobés à un musée ou à une galerie.

Se pose alors la question de la sécurité dans nos musées: sont-ils bien protégés? Les oeuvres sont-elles suffisamment assurées? «Je crois qu'il ne faut pas détourner les budgets d'acquisition d'oeuvres d'art, déjà insuffisants, de leur vocation première pour se procurer des systèmes de sécurité ou contracter des assurances, s'indigne Lise Lamarche. Nous devons apprendre à vivre avec un certain risque.»

En tout cas, les autorités norvégiennes ne désespèrent pas de retrouver les voleurs du Cri. Un vol spectaculaire de 20 toiles de Van Gogh en 1991 avait connu une fin inattendue: les tableaux étaient revenus comme par miracle quelques instants après leur disparition.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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